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Fondation Jean Jaurès

Retour sur les clubs Convaincre

Les amis de Michel Rocard ont toujours eu, au sein du Parti socialiste, un lien politique entre eux au-delà des procédures partisanes de cette formation. Ils n’étaient pas les seuls mais la stature de Michel Rocard et son ambition présidentielle attirait davantage l’attention et en même temps crispait les réactions.

 

Il y eut la revue Faire de 1978, après les élections législatives, jusqu’à 1981 après les élections présidentielles quand Michel Rocard lui-même fut nommé Ministre d’Etat. A ce moment-là il rentre dans le rang sans abandonner ses convictions. Il y eut aussi la revue Intervention dirigée par Jacques Julliard et Patrick Viveret. Elle est parue pendant quatre ans de 1982 à 1986. C’était une revue intellectuelle lue par beaucoup de rocardiens sans qu’on puisse la qualifier de rocardienne.

 

La démission de Michel Rocard du Gouvernement le 2 avril 1985 change la donne. L’analyse politique, partagée par tout le monde à cette date, est la suivante : les socialistes vont perdre les élections législatives de mars 1986, la cohabitation sera fatale à François Mitterrand. Pourra-t-il tenir ? En tous cas il ne pourra pas se présenter pour un nouveau mandat en 1988. Michel Rocard est bien décidé à se lancer, donc à se préparer après avoir dû renoncer en 1981. L’histoire ne sera pas celle-là mais il ne faut pas faire d’anachronisme !

 

Les clubs naissent à ce moment-là. Michel Rocard annonce sur RTL le 1er mai 1985 qu’il allait encourager la création de clubs. En janvier 1986 il m’en confie la responsabilité. Pendant plusieurs mois je parcours la France et réunit les amis rocardiens de chaque département pour faire le point sur ce qui existe déjà ou prévoir le lancement de clubs là où il n’y en a pas. Pour la petite histoire et parce que c’est ma région, la réunion pour la Bretagne se tient à Pontivy le 24 mai 1986. Cinq personnes représentent le Finistère dont Benoit Hamon...

 

Chaque rencontre est introduite par moi avec le même discours : nous devons organiser l’accueil des rocardiens qui sont à l’extérieur du PS. Les partis politiques n’attirent pas et d’autres structures sont nécessaires dans lesquelles la parole est libre. L’échéance présidentielle doit être préparée dès maintenant et l’investiture de Michel Rocard par le PS ne suffira pas à créer l’élan nécessaire. Il pourra même y avoir des freins. Enfin ne tenez pas compte des critiques acerbes qui ne manqueront pas de venir de l’appareil socialiste.

 

Puis j’évoque le lancement d’un club : un noyau de départ avec de préférence un animateur non-membre du PS, la rédaction des statuts et leur dépôt en Préfecture, le choix du nom qui n’est pas forcément “ Convaincre “. Il y aura en effet des clubs Pierre Mendès-France, Jean Jaurès, Politique en liberté, Rencontres du futur, Clovis Hugues etc... Mais ils devront s’affilier à la Fédération nationale des clubs elle-même dénommée “ Convaincre “. Donc beaucoup de souplesse et le moins possible de rigidité et de bureaucratie pour ne pas ressembler à un parti.

 

Je leur suggère ensuite d’organiser des réunions-débats, des conférences dans leur département en faisant appel à la presse régionale pour les annoncer et si possible en rendre compte. Il convient de démultiplier la présence de Michel Rocard au-delà des seuls médias nationaux. Il existe deux listes d’intervenants auxquels les clubs peuvent faire appel. Celle réunie par Stéphane Hessel qui partage avec moi l’animation des clubs. Elle comporte 14 noms. Celle établie par mes soins qui comporte 70 noms avec beaucoup de responsables politiques étiquetés “ rocardiens “. Plusieurs sont toujours en fonction ou en activité !

 

A chaque réunion un point est fait sur la lettre Convaincre qui est le trait d’union des clubs. Je n’ai pas la responsabilité de sa rédaction. Elle est un outil indispensable dans le dispositif. Tous sont satisfaits de la recevoir et de la diffuser. Tous veulent l’améliorer et les suggestions ne manquent pas. Le 29 avril 1986 je fais parvenir aux auteurs de la lettre un résumé de ce que j’attends. La lettre doit être plus vivante, plus aérée, moins techno, avec plus d’humour et même quelques caricatures disent certains. Son contenu est apprécié mais jugé austère. Surtout ils veulent du “ Rocard “ et les modèles évoqués ne manquent pas : bloc-notes de François Mauriac ou Jean Boissonnat, éditorial de Jean Daniel dans Le Nouvel Observateur, carnet de François Mitterrand dans l’Unité, l’hebdomadaire du PS dirigé par Claude Estier. Des sujets à traiter sont demandés : FMI, partage du travail, démographie, Moyen-Orient, multinationales, chômage etc... Évidemment chaque club veut recevoir Michel dans un déplacement avec réunion publique en soirée ! Impossible de satisfaire tout le monde !

 

La première rencontre nationale des clubs “ Convaincre “se tiendra le 7 juin 1986 à La Sorbonne dans le grand amphithéâtre Richelieu. Reprenant le dossier de préparation il est frappant de lire les intitulés des six tables rondes réunies dans la matinée : la vie et la mort, la démographie, la sécurité, média, éthique et politique, islam et droits de l’Homme, Europe. Ils pourraient être repris aujourd'hui. Ils marquent un trait particulier du rocardisme : la capacité d’anticipation des problèmes. Rocard voyait très loin mais parfois trop loin ce qui pouvait donner le sentiment d’un éloignement des sujets quotidiens.

 

La réélection de François Mitterrand en 1988, la nomination de Michel Rocard à Matignon change à nouveau le paysage politique. Les clubs continuent mais la population regarde surtout Rocard dans l’action. Une rencontre nationale des clubs Forum des jeunes rocardiens sera organisée dans le Finistère à Loctudy à la fin de l’été 1990. Ces clubs sont dirigés par un trio qui fera du chemin : Manuel Valls, Alain Bauer, Stéphane Fouks. Michel Rocard s’y rendra et je le recevrai à la mairie de Quimper pendant que des syndicats manifesteront contre le projet de séparation de la poste et des télécommunications. Finis les PTT ! La raison était du côté du Premier Ministre !

 

Michel Rocard sera selon son expression “ viré “ de Matignon le 15 mai 1991. Une nouvelle étape de son parcours s’ouvre. Les clubs retrouvent plus d’utilité. Cette fois c’est sûr François Mitterrand ne sera pas candidat en 1995. C’est donc son tour. Une nouvelle rencontre nationale des clubs “ Convaincre “ est réunie à Quimper fin août 1992. Elle rassemblera un millier de personnes. Je suis maire de la ville et je décide de faire le plus bel accueil à tout ce monde. Car pour cette élection dans trois ans il faut rassembler. Tous les responsables socialistes défilent de bonne ou de mauvaise grâce : Delors complice, Jospin chaleureux, Fabius boudeur..!! On connaît la suite : la déroute aux élections législatives de mars 1993, Rocard battu dans les Yvelines, Fabius désavoué le 2 avril, Rocard Premier Secrétaire du PS, mais sévèrement battu aux élections européennes de juin 1994 enterrant son rêve présidentiel. Une nouvelle histoire pour lui cette fois au Parlement européen. Une revue Faire et des clubs “ Convaincre “ : tout Rocard est contenu dans ces deux verbes.

 

Bernard Poignant,
Ancien député-maire de Quimper