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Fondation Jean Jaurès

Un ouvrage de référence sur le courant rocardien

En dépit de son sous-titre – « Avec Rocard. Mémoires d’un rocardien de province » – le livre de Gérard Lindeperg est beaucoup plus qu’un récit autobiographique. Même s’il part d’un point de vue personnel, retraçant avec simplicité et humanité le parcours d’un fils d’ouvrier devenu enseignant, élu, responsable politique à une époque où l’ascenseur social fonctionnait encore, cet ouvrage propose une analyse riche et détaillée de l’ancrage territorial d’un courant politique, celui de la deuxième gauche incarnée par Michel Rocard.

 

Venu à l’engagement politique en pleine guerre d’Algérie, résistant - en raison des évènements de Budapest - à l’attraction qu’exerçait alors le Parti communiste sur le monde ouvrier, Gérard Lindeperg retrace l’implantation de l’UGS (Union de la gauche socialiste) puis du PSU dans une petite commune au nord de Lyon, Neuville-sur-Saône : avec finesse, il décrit le mariage complexe des différentes cultures – laïque et chrétienne, ouvrière et enseignante – qui résultait de l’unification, l’exaltation de mai 68 puis les excès d’une fédération PSU du Rhône très marquée par l’emprise des courants gauchistes.                

 

Un chapitre passionnant quitte les rivages de la politique pour aborder ceux du syndicalisme enseignant : l’époque où la Fédération de l’Education nationale, avec ses multiples ramifications mutualistes, associatives, coopératives, dominait l’univers enseignant de la maternelle à l’Université et où les différentes familles de la gauche rivalisaient en son sein pour son contrôle paraît aujourd’hui relever d’un autre monde. Dans la foulée de mai 68, la volonté de rénover le syndicalisme enseignant allait de pair avec celle de transformer les pratiques pédagogiques. Cette démarche échouera face aux pesanteurs de l’organisation et aux contradictions du milieu professionnel.

 

En 1974, lassé des querelles byzantines de la fédération PSU du Rhône, Gérard Lindeperg suit Michel Rocard au Parti socialiste, à travers le processus des Assises du socialisme. L’accueil des nouveaux arrivants dans la fédération socialiste du Rhône, structurée par de fortes personnalités parmi lesquelles Jean Poperen, qui voyait ce processus avec méfiance sinon hostilité, ne fut pas un chemin semé de pétales de roses… Au fil des pages, rythmées par les congrès et les conventions du PS et par les échéances électorales, il raconte les hauts et les bas de cette implantation, qui va de pair avec la conquête de positions municipales, à Neuville-sur-Saône, dont il devient premier adjoint au maire en 1977.

 

Survient 1981 et l’élection de François Mitterrand. Pour les rocardiens, la donne change, y compris en interne. Le « tournant de la rigueur » de 1983 montre que Michel Rocard n’avait pas forcément tort dans ses mises en garde de la fin des années 70… La progression de l’influence du courant rocardien dans le Rhône vaut à Gérard Lindeperg de siéger au bureau national à partir de 1985 puis au secrétariat national en 1988, où il fût d’abord chargé des droits de l’homme, puis de la formation : appréciant sa diplomatie, son sens de l’organisation et sa discrétion, Michel Rocard lui confia la responsabilité de coordonner l’action du courant et des clubs Convaincre et d’assurer, pendant la période où il fût Premier ministre, la liaison entre le PS et Matignon. Lorsque Laurent Fabius succéda à Pierre Mauroy comme Premier secrétaire en 1992, pour solder les comptes du calamiteux congrès de Rennes, Gérard Lindeperg devint « numéro deux » du PS, fonction qu’il exerça avec une autorité discrète et efficace.

 

On retrouve dans ce livre les qualités pédagogiques de G. Lindeperg : clarté d’exposition, mise en perspective, rigueur des faits et des dates. Elles sont associées à une élégance de la plume et de la pensée qui contribue au plaisir de la lecture. La dimension personnelle n’est pas absente aussi bien dans les jugements rétrospectifs qu’il porte sur les choix stratégiques de Michel Rocard, car la fidélité n’a jamais exclu la lucidité, et dans une collection de portraits, qu’il s’agisse de militants locaux ou de responsables nationaux, tracés d’un burin fin et acéré, mais toujours bienveillant. Elle se retrouve aussi dans la place singulière qu’occupe dans ce parcours Michèle Lindeperg, qui a partagé tous les engagements et combats de son mari, jusqu’au Parlement européen où elle a siégé avec Michel Rocard.

 

Au total, ce livre apporte donc un éclairage sur l’enracinement territorial des galaxies rocardiennes, du PSU au PS, qui, au-delà des enjeux idéologiques, décrit avec précision l’émergence et l’affirmation de ce courant politique, ce qui en fait incontestablement un ouvrage de référence pour tous ceux qui voudront approfondir cette histoire, notre histoire.

 

Jean-François Merle

10.02.2018 

 

Avec Rocard. Mémoires d’un rocardien de province.

Gérard Lindeperg

Editions de l’Aube et Fondation Jean-Jaurès, Paris, 2018, 376 p.