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Fondation Jean Jaurès

La « Deuxième Gauche » et l’Économie Sociale : de l’autogestion à l’Économie Sociale.

 

La « deuxième gauche » a été identifiée dès les années 70 comme l’ensemble des militants engagés dans une démarche autogestionnaire. L’Economie Sociale est née de cette aspiration, elle est emblématique de l’évolution de la « deuxième gauche ». Ce concept de « deuxième gauche » n’a jamais été clairement formalisé mais il s’est imposé peu à peu dans le paysage de la gauche jusqu’en 1981. C’est surtout à partir de 1974, lorsqu’à la suite de Michel Rocard, des militants du PSU sont entrés au Parti Socialiste, à l’occasion des Assises du Socialisme, en octobre 1974, que l’idée d’autogestion, bien travaillée au sein du PSU, a pu trouver une expression plus large. Les véritables militants d’origine de la deuxième gauche ont été essentiellement des militants de la CFDT, pour qui l’autogestion était un gage d’émancipation pour les travailleurs. Ces militants ont également fait leur entrée au Parti Socialiste, à l’occasion des Assises du Socialisme.

 

Le PSU et l’influence de Mai 68

Ce qui a véritablement mis sur le devant de la scène le concept d’autogestion sont les événements de mai 68. L’autogestion semblait répondre à un certain nombre de préoccupations des militants du PSU ou de ceux dont les idées étaient proches de ce parti. En ce mois de mai 68, mais surtout ensuite, l’autogestion est apparue comme la traduction concrète du contrôle ouvrier et de de la reprise en main de leur destin par les personnes concernées. C’est un projet ancré dans la vie quotidienne qui peut redonner du sens au combat politique. Le Congrès de Lille du PSU, en 1971, au cours duquel Michel Rocard a acquis la majorité dans le parti, a été un point d’inflexion important entre la vision révolutionnaire antérieure à ce Congrès et la vision autogestionnaire porté à ce Congrès par ceux qui vont constituer la majorité du parti. L’autogestion devient le projet du PSU. Cela se traduit, ensuite, au Congrès de Toulouse en 1972, par le « manifeste du PSU » : « contrôler aujourd’hui pour décider demain » Le titre même de ce manifeste, et la proposition majeure de « contrôle ouvrier », ouvre en effet la voie à toutes les réflexions autour de ce qui deviendra plus tard l’Economie Sociale.

Comme le PSU était avant tout une organisation qui réfléchissait aux solutions d’avenir pour notre pays, il avait l’habitude de débats et en particulier sur cette question de l’autogestion comme capacité d’organiser l’ensemble de la société. C’est ainsi qu’en janvier 73 s’est tenu un colloque sur le thème « autogestion et révolution socialiste ». Cette même année 73 a connu également la mobilisation autour de LIP, et la tentative de mettre en place dans cette entreprise un contrôle ouvrier. On se rappelle en particulier la confiscation du stock et la vente sauvages des montres de cette marque à l’époque très réputée. Michel Rocard et ceux qui l’entourent au sein de la direction nationale du PSU ont fait plusieurs voyages sur place. Ils ont été très marqués par cette expérience.

 

Le programme commun

L’année précédente, en juin 1972, a vu la signature de la première version du programme commun de la gauche. Dans cette première version on retrouve la phrase suivante, dans le chapitre consacré à l’extension des pouvoirs des travailleurs : « lorsque les travailleurs de l’entreprise en exprimeront la volonté et lorsque la structure de l’entreprise en indiquera la possibilité, l’intervention des travailleurs dans la gestion et la direction de l’entreprise prendront  des formes nouvelles que le Parti Socialiste inscrit dans la perspective de l’autogestion ». Un peu plus loin, concernant la démocratisation et l’extension du secteur public, on lit également : « à côté des nationalisations, l’appropriation collective revêtira des formes diverses : société nationale d’économie mixte, coopératives, mutuelle, services publics locaux, etc. ».

En février 1975, Michel Rocard devient Secrétaire National du Parti Socialiste chargé du secteur public, et donc chargé de la mise en œuvre de cette partie du programme commun. Il voit dans les deux phrases du programme commun de la gauche la possibilité d’une véritable évolution. C’est dans le cadre de cette responsabilité au sein du Parti Socialiste, que va naître l’idée de l’Économie Sociale.

 

De l’entreprise autogérée à l’Économie Sociale

Michel Rocard avait par son passé de militant socialiste, en particulier comme responsable des étudiants socialistes, rencontré un certain nombre de militants devenus responsables de grandes organisations coopératives ou mutualistes. Ceux-ci, proches du Parti Socialiste, sinon membres de celui-ci, vont demander à rencontrer Rocard peu de temps après sa prise de fonction, et lui font part du besoin de savoir précisément ce que le Parti Socialiste entend faire de leurs entreprises. Celles-ci n’appartiennent pas, ont-ils souligné, au secteur public mais s’apparentent beaucoup plus à cette idée d’autogestion. C’est au sortir de cette réunion que Michel Rocard et son équipe décide de travailler avec ce secteur coopératif et mutualiste pour voir comment on peut avancer vers des entreprises autogérées.

La « Convention sur l’Autogestion » du Parti Socialiste en juin 1975, à l’initiative et sur l’insistance de Michel Rocard et de ses amis, retient que l’autogestion peut trouver une place au titre de l’expérimentation sociale dans un certain nombre d’entreprises, en particulier des entreprises moyennes ou grandes qui ne nécessitent par l’intervention de l’Etat. Le statut juridique de ces entreprises serait proche de celui des coopératives. Il y aurait un conseil de gestion élus par les travailleurs. Un peu plus loin dans cette convention, Michel Rocard reprend la même idée et considère que les usagers et les consommateurs, donc les utilisateurs des services, pourraient composer le conseil de surveillance de ces entreprises.

On notera que les résultats de cette Convention, portée clairement par les tenants de la deuxième gauche au sein du PS, ne feront guère l’objet de reprise par la suite. On notera cependant, dans la même période, qu’à la suite de la rencontre historique avec les responsables des organisations coopératives et mutualistes, le groupe de travail mis en place par Michel Rocard, et animé depuis l’origine par François Soulage, a publié un document intitulé « autogestion dans l’entreprise et dans l’économie après la victoire de la gauche ». Ce document plaidait pour le développement d’un secteur socialisé. Il voulait arrêter les principes, la stratégie, et les organismes susceptibles d’orienter de contrôler et de promouvoir une poussée probable de l’autogestion dans les entreprises, suite à une victoire électorale de la gauche. Cela s’inscrivait dans la préparation des élections législatives de 1978. Mais cette présentation qui faisait toute sa place à l’autogestion ne répondait pas à la nécessité de préciser la place et le rôle spécifiques des entreprises coopératives et mutualistes, qui n’étaient pas, réellement des entreprises autogérées. Le terme « entreprises autogérées » ne convenant pas à Michel Rocard et à son équipe, c’est en mai 1977, que le petit groupe autour de Rocard, animé par François Soulage, a proposé d’appeler ces entreprises se revendiquant d’être proches de l’autogestion : « entreprises d’Économie Sociale ». A partir de ce moment charnière, les choses vont s’accélérer.

 

L’Economie Sociale trouve sa place dans le débat public, animé par la « deuxième gauche »

En juin 77, dans la revue « Faire », véritable organe de recherche et de communication de la deuxième gauche, et dans la rubrique « dossiers pour 78 », Jean Guillot signait un article sur les PME et l’autogestion, et mentionnait sous le titre « des PME autogérées : « il faudra créer un vaste réseau d’Economie Sociale pour accueillir les structures déjà existantes, autogérées par les usagers, que sont les coopératives de consommation, les mutuelles et les associations ». Dans le même temps, « Faire » racontait l’histoire de LIP devenue un groupe de coopératives ouvrières.

Dans la revue « Faire » du mois de septembre 1977, Pierre Rosanvallon et Patrick Viveret insistent sur la nécessité de l’expérimentation sociale. Ils préconisent, en particulier, l’expérimentation de nouveaux rapports sociaux dans l’entreprise et dans la société. Ils prennent comme exemple l’habitat autogéré, les associations de radios libres, les circuits courts.  Pour eux, l’aspiration à l’autogestion est inséparable d’une socialisation de la fonction d’entrepreneur. Cette fonction doit être socialisée pour permettre de sortir du champ du capitalisme. L’Etat devra donc favoriser la libre entreprise collective et doit refuser une société étatisée.

Enfin en janvier 78, juste avant les législatives de mars 78, dans la revue « Faire », qui publiait les « dossiers pour 78 » François Soulage publie le dossier établi pour le PS : « De nouvelles entreprises : le secteur de l’Economie Sociale ». Cet article reprenait les propositions du PS qui auraient dues être publiée dans un numéro du « Poing et la Rose – responsables », mais ne le furent pas, pour « ne pas effrayer les commerçants et artisans ». Le lien entre expérimentation sociale et Économie Sociale fut également au centre d’une rencontre inédite entre le PS et les associations en Octobre 1978, à l’initiative de Michel Rocard et animée par François Soulage.

Mais l’essentiel avait déjà été fait dès 1977, dans les propositions socialistes pour l’actualisation du Programme Commun. Le secrétariat au Secteur Public, animé par Michel Rocard, avait obtenu d’intégrer une description beaucoup plus précise du programme de nationalisations du PS. Il introduisait alors, sous forme d’un amendement au texte initial de 1972, la phrase suivante : « à côté des nationalisations, la propriété sociale revêtira des formes diverses : société nationale ou d’économie mixte, coopératives, mutuelles, entreprises d’Économie Sociale et à but non lucratif ». Le PS ne publiera son premier document complet sur l’Economie Sociale qu’en Janvier 1979, soit après les élections législatives. Les entreprises coopératives, mutuellistes et associatives, de leur côté, regroupées dans le CLAMCA (Comité de liaison des activités associatives, mutualistes et coopératives) rédigent, en 1980, la première Charte de l’Economie Sociale, à l’initiative de Georges Davezac.

 

Enfin une reconnaissance officielle

Dès lors, et jusqu’en 1981, tous les travaux ont été menés pour proposer un programme détaillé de l’ensemble des instruments législatifs, institutionnels et financiers pour développer un puissant secteur d’Economie Sociale. C’est sur la base de ces travaux que, dès sa nomination en 1981 comme Ministre du Plan et de l’Aménagement du Territoire, Michel Rocard a demandé à être également chargé du développement de l’Economie Sociale.

 

François SOULAGE, Février 2020

Texte préparé en vue de la table ronde animée par l’association MichelRocard.org, lors du Colloque « l’Économie Sociale, quelle histoire ? », le 7 Février 2020.