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« Michel Rocard », une biographie par Pierre-Emmanuel Guigo

Mieux qu’un livre de plus sur Michel Rocard, la biographie écrite par Pierre-Emmanuel Guigo est le résultat du travail scrupuleux, durant une douzaine années, d’un jeune historien. Un mémoire publié, une thèse de doctorat étayée sur plusieurs gisements d’archives et de nombreux entretiens ont préparé cette publication.

 

L’auteur cite ses sources écrites ou orales et enrichit son récit de 700 notes. Ayant accompagné l’action et la communication de Michel Rocard, surtout entre 1974 et 1988, j’ai eu avec lui de multiples occasions d’échanges personnels, jusqu’à ces douze jours, fin septembre 2015, d’une croisière partagée en Arctique, au cours de laquelle nous avons "refait des matchs". À de rares erreurs minimes près ou omissions, l’ouvrage de Pierre-Emmanuel Guigo est désormais une référence incontournable. On apprend beaucoup à sa lecture.

 

 Le déroulement en huit chapitres a le mérite de la simplicité : les racines familiales (1) ; la militance sur fond de guerre d’Algérie (2) ; le PSU qui, avec l’ADELS et les GAM, ont été des laboratoires pour décoloniser la province et réfléchir sur les territoires (3) ; le destin présidentiel contrarié une première fois (1974-81) (4) ; à l’épreuve du pouvoir (1981-88) (5) ; le «triennat» Rocard (6) ; le candidat «rituel» (7) ;  «Retraité ? non, moi jamais » (8). Le chapitre (5) aurait pu se dédoubler : une première partie sur l’exercice du pouvoir (Plan-Aménagement du territoire-Agriculture, 1981-85) et une deuxième partie sur la tentation présidentielle (1985 -88), sans minimiser la seconde néo-campagne qui a remobilisé des experts et développé les Clubs Convaincre, dont  Pierre-Emmanuel Guigo fait une bonne analyse.

 

Le destin présidentiel de Michel Rocard a pu en effet lui offrir quatre rendez-vous. En 1969, il se présente à l’opinion. Pour 1981 et 1988, le rapport de forces au PS a été perdu au congrès de Metz. Avoir l’opinion de son côté ne suffit plus. La candidature de François Mitterrand est certaine et sa détermination durable, d’après ce que me confiait en 1975 Georges Dayan, son ami le plus proche.

 

Pierre-Emmanuel Guigo doute bien sûr des effets de la néo-campagne qui avait abouti en 1980 à l’euphorie rocardienne de Villeneuve-lès-Avignon et au bien trop solennel appel de Conflans. Quant à 1988, la seconde néo-campagne «au cas où…» se garde d’être agressive à l’égard du Président, mais entend rendre inévitable l’attribution de Matignon à Rocard.

 

Restait 1995. Pierre-Emmanuel Guigo montre comment cette chance est gâchée par un Rocard hésitant au sortir de Matignon, en dépit d’un bon bilan. Il plane, en mutation affective personnelle. Les conseils de Jacques Pilhan ont-ils été déstabilisants ? S’est-il agi de ménager François Mitterrand ou de faire avaler à Rocard d’être un très silencieux «génie des carpettes» ? Il faut reconnaitre deux erreurs stratégiques, la prise de la direction du PS et la conduite de la liste pour les élections européennes. Au comité directeur du PS, le 3 avril 1993, je suis assis entre Michel Rocard et Jean-Paul Huchon, trop tard pour protester et faire valoir que maintenant la relation à l’opinion devient plus importante que le rapport de force au PS. Mais - tant pis ! – ce sera «le parti pris fossoyeur».

 

L’empathie sceptique de Pierre-Emmanuel Guigo le conduit à s’interroger sur le double visage de Michel Rocard.

 

Une face technique, apolitique - est-il dit par provocation dans l’introduction – qui s’inscrit dans un tropisme scientifique paternel. C’est la tentation de rationaliser la politique, de s’inspirer des entreprises dynamiques et de leur management. Autant de discussions passionnantes avec Claude Neuschwander dans les années 60 ou plus tard avec Roger Godino. Sont visités, souvent avec Michèle Legendre-Rocard, les travaux d’Edgar Morin et de sociologues, au premier rang desquels figurent Touraine, Rosanvallon, Crozier, Serres, Viveret… 

 

L’autre face est l’implication partisane, formellement respectueuse du rôle des partis politiques, mais vivement critique des pratiques politiciennes, uniquement préoccupées de conquête des pouvoirs et inaptes à rechercher le compromis social ou à emprunter les voies de l’adhésion de la société à la réforme.

 

Pierre-Emmanuel Guigo écarte la schizophrénie du mystère Rocard. Michel Rocard tentait de concilier les approches. Sa modernité était métapolitique. Héritier du parler vrai et du dialogue mendésien avec les citoyens, Michel Rocard aurait voulu gouverner avec la société. Ce qui ne signifie pas selon les sondages, ni via les réductions médiatiques, mais en écoutant les attentes socio-culturelles et en recherchant la participation, voire la lucidité, des gens dans le débat public.

 

Le lecteur de tout ou partie de ces 384 pages sera reconnaissant à Pierre-Emmanuel Guigo de la reconstitution qu’il a faite du riche et complexe puzzle Michel Rocard.

 

Pierre Zémor

Conseiller d’État (h), administrateur de MichelRocard.org

 

Regarder l'entretien entre Mathieu Fulla et Pierre-Emmanuel Guigo à propos de son livre

 

Michel Rocard

Pierre-Emmanuel Guigo

Perrin, Paris, 2020, 378 p.