Gilles CHEYROUZE
Avril 2025
Régional de l'étape
Habitant Conflans Sainte-Honorine depuis 1966, j’ai rencontré Michel Rocard pendant la campagne municipale de 1977. J’étais encore lycéen (en 1ère) et ce sont surtout mes parents, très actifs dans leur comité de quartier, qui ont milité en faveur de son élection comme maire de notre ville. J’ai adhéré le 20 mars 1978 au PS, au lendemain de l’élection de Michel comme député de la 3ème circonscription des Yvelines, au lendemain de la défaite de la Gauche aux élections législatives … et au lendemain d’une intervention télévisée restée dans les mémoires : « il n’y a pas de fatalité à l’échec de la Gauche ».
Je me suis défini dès lors comme socialiste et « rocardien ». J’ai pourtant refusé un an plus tard, après le congrès de Metz, d’intégrer l’UNEF-ID dans le sillage du trio Fouks, Bauer et Valls, au profit d’un engagement pro-européen au sein de la Jeunesse Européenne Fédéraliste d’abord (j’avais 19 ans), puis du Mouvement Fédéraliste Européen, du Mouvement Européen, enfin.
Ce double engagement, au PS et pour l’intégration européenne, était chez moi assorti d’une passion pour les questions d’information et de communication. C’est donc tout naturellement que j’ai suivi ce secteur au sein du bureau de la section socialiste de Conflans de 1979 à 1982. J’ai par la suite cofondé avec d’autres camarades rocardiens et fédéralistes de mon âge un journal, doté d’un numéro de commission paritaire, « Défi pour l’Europe » dont le premier numéro vit le jour en janvier 1986.
Entretemps, mes camarades conflanais m’avaient confié, à l’occasion du congrès de Bourg-en-Bresse de l’automne 1983, le secrétariat de la section de Conflans-Sainte-Honorine, certes pas la plus nombreuse des Yvelines (c’était Versailles !), mais probablement la plus symbolique et surtout une des plus atypiques de cette fédération plutôt intellectuelle, car composée pour plus de la moitié d’ouvriers, d’employés et de cadres du privé. Ce mandat m’a valu d’accueillir les délégués au congrès fédéral du haut de … mes 23 ans et je me souviens encore avec amusement de l’incrédulité de certains.
J’étais à l’époque étudiant-salarié, en droit à Paris X-Nanterre, où j’ai reçu l’enseignement d’un professeur du nom de Guy Carcassonne, que j’ai rencontré avec une certaine surprise dans les vestiaires du stade municipal de Conflans, à l’occasion d’un match de football entre la section locale du PS et le cabinet du ministre de l’Agriculture où il était conseiller juridique, ce que j’ignorais. J’ai retrouvé Guy à Matignon en 1988.
Benjamin de la liste conduite par Michel Rocard aux élections municipales de mars 1983, je ne suis devenu conseiller municipal qu’en mars 1986, à la suite de la démission d’un autre conseiller. Fidèle à son mode de fonctionnement basé sur la confiance et la responsabilité, Michel m’a tout de suite confié la délégation à la Communication au sein de l’équipe municipale, sur la proposition de son premier adjoint, Jean-Paul Huchon.
Conflans-Sainte-Honorine, ville moyenne de 32.000 habitants, faisait alors indiscutablement partie de la mythologie rocardienne. Certains ont dit ou écrit que Michel Rocard en avait fait une sorte de « laboratoire du rocardisme », où il testait ses convictions, mais surtout la conception qu’il se faisait de la démocratie municipale. Michel n’aimait pas cette expression car, disait-il, « contrairement à un laboratoire, nous faisons à Conflans des produits finis ». Le principal enseignement qu’il indiquait avoir tiré de la gestion municipale de Conflans était que « les hommes se mobilisent d’autant plus qu’on leur fait véritablement confiance »
La délégation érigée en système de gouvernement
Chaque adjoint au maire était chargé d’un « pôle » d’activité municipale … comme dans presque toutes les municipalités de France. Toutefois, à Conflans, chaque responsable de pôle était réellement indépendant dans la gestion quotidienne du secteur dont il était chargé. Les décisions les plus importantes étaient quant à elles arbitrées dans une instance collective, la réunion d’équipe, qui se tenait tous les lundis lors d’un dîner – souvent froid - présidé par Michel. Celui-ci a toujours réussi à sauver ses lundis pour nous, même lorsqu’il était Premier ministre… au regret parfois de certains de ses conseillers parisiens.
Même chose pour les services municipaux qui – en liaison étroite avec leurs adjoints de référence – établissaient leur propre budget avant de le soumettre à la commission des Finances… où siégeait l’opposition. La délégation du pouvoir municipal pouvait aller parfois jusqu’au contre-pouvoir associatif. Ainsi, dans le domaine culturel, les associations étaient regroupées dans un Conseil d’animation où les élus étaient minoritaires. C’est ce Conseil qui, par exemple, gérait entièrement - avec le soutien logistique des services municipaux – l’organisation du Festival de café-théâtre de Conflans qui attirait bon an mal an une dizaine de milliers de personnes.
L’amélioration du fonctionnement des services publics municipaux a été le projet auquel Michel a accordé tout particulièrement son attention à la veille de son troisième mandat municipal (1989). Ses deux premiers mandats, eux, avaient permis de doter la ville des équipements qui lui manquaient tant sur le plan scolaire ou social que sur celui de l’urbanisme, de la circulation ou des transports. La mise en œuvre d’un projet d’entreprise à la mairie pour un meilleur service au public a été un processus long (quatre années), parfois compliqué pour les élus, et qui a ensuite été décliné en projets de services, que j’ai d’ailleurs pu accompagner dans le secteur culturel quand je suis devenu adjoint chargé de la Culture. Les agents municipaux de tous niveaux ont ainsi été associés aux cadres pour définir les règles de fonctionnement des services. Il en est résulté une amélioration très nette du fonctionnement – notamment logistique – dans notre ville où près de 200 associations organisaient activités et manifestations tout au long de l’année.
Michel était accessible, même lorsqu’il était Premier ministre. Son 1er adjoint, l’était plus encore, peut-être un peu moins lorsqu’il était à Matignon. Cette dyarchie conflanaise, qui s’est retrouvée d’une certaine manière un temps à Matignon, a toujours bien fonctionné. Michel comme Jean-Paul croyaient au travail d’équipe et ne pouvaient admettre que l’on fasse quelque chose sans l’avoir compris. La disponibilité de Michel, dès qu’il s’agissait d’expliquer, de convaincre, je l’ai connue également à Matignon, où il m’est arrivé une fois ou deux de pousser timidement la porte du bureau du Premier ministre, lorsque j’étais attaché de presse pour les affaires locales.
A Conflans, comme – je le crois – à Matignon, on se concertait volontiers, on travaillait beaucoup ensemble, et on aimait bien la convivialité ! L’équipe municipale de Conflans cherchait des solutions ; elle confrontait en permanence son idéal et la réalité du terrain ; elle trouvait des compromis ; elle avançait.
Michel nous faisait confiance, il déléguait, il orientait… et il couvrait quand il nous arrivait de faire des erreurs (peu nombreuses au demeurant). Lorsqu’il s’est installé sous les ors de la République, il n’a changé ni de comportement, ni d’habitude. Nous lui en étions particulièrement reconnaissants.
A Matignon, comme à Conflans, il y avait une démarche commune de l’exercice du pouvoir, aimait à rappeler Jean-Paul. Ce que l’on a appelé la « méthode Rocard » : faite d’écoute, d’ouverture, de dialogue ; un rapport respectueux aux autres, notamment avec l’opposition, la courtoisie, le refus des grands mots et des petites phrases qui brutalisent ou schématisent à l’excès, le sens de l’intérêt général, une tenace volonté de convaincre, l’obsession de parvenir à un bon compromis. Dans l’élaboration et la gestion des choix nationaux comme municipaux, Michel Rocard avait la volonté farouche de privilégier le long terme et méprisait la démagogie.
J’ai eu beaucoup de chance de travailler et d’apprendre à ses côtés jusqu’en 1994. J’ai tenté ensuite, de garder cette méthodologie comme fil rouge de mon activité, tant dans ma vie professionnelle que politique. En cela, le « régional de l’étape » que je fus est resté – encore aujourd’hui - un indécrottable « rocardien ».
Gilles CHEYROUZE
Ancien adjoint au maire de Conflans-Sainte-Honorine