Janine MOSSUZ-LAVAU
Janvier 2022
Au Théâtre de l’Atelier (Paris 18ème), un soir de l’hiver 2020, j’assiste à un spectacle intitulé « L’opposition Mitterrand vs Rocard ». Une pièce de Georges Naudy dans laquelle est mis en scène un moment de 1980, quand les frères ennemis projettent tous deux de se présenter à l’élection présidentielle de 1981. Le suspens n’est pas garanti, on y va en connaissant la fin. Durant la prestation de Cyrille Eldin, le comédien qui joue un Michel Rocard rapide, pressé et si intelligent qu’il « faut suivre », les souvenirs reviennent à la pelle. Retour à la lutte anticoloniale, à la deuxième gauche, aux Assises du Socialisme qui ont vu Hamster érudit entrer au Parti socialiste, où je suis depuis 1973, et développer ainsi le seul courant que je peux rejoindre. Je rappelle qu’à l’époque, au PS, s’affrontaient entre autres le CERES et l’ERIS (à qui cela peut-il dire quelque chose aujourd’hui…?). Les ayant subis, en section locale, j’ai dû admettre ce qu’un proche m’avait dit en découvrant mon projet d’adhésion : « Tu verras, au PS, l’ennemi ce n’est pas la droite, c’est le courant d’à côté ».
Je me retrouve assez vite à la revue Faire, dirigée par Gilles Martinet et animée par Patrick Viveret. Michel Rocard fait partie de l’équipe Orientation/Rédaction. On peut lire sur une page intérieure que Faire a choisi l’indépendance qui garantit non seulement l’ouverture mais encore l’impertinence, tout ce qu’il me faut. Lui succède, en 1982, Intervention, créée par Jacques Julliard, et dont je prends en charge les pages culturelles. Dans le numéro 1, en date de novembre-décembre 1982, s’affiche cette profession de foi : « Solidaires de la gauche et de son destin, nous serons complètement indépendants de ses institutions et du pouvoir qu’elle incarne ».
C’est dans ces années que Guy Carcassonne me demande de venir m’occuper des groupes « Société » qui travaillent pour Michel Rocard, aux côtés d’autres groupes consacrés à la politique étrangère, à l’agriculture et à bien d’autres secteurs. Œuvrant à l’élaboration d’un programme, l’ensemble est dirigé d’une main ferme par Bernard Vial, formidable organisateur, modèle de rigueur et de probité. Le samedi, à tour de rôle, nous planchons devant Michel Rocard, sur « nos » sujets, pour ce qui me concerne ceux des groupes Médias, École, Femmes etc., chacun coiffé d’un ou d’une responsable. Michel Rocard est studieux. Il écoute, prend des notes, pose des questions. Le tout sans parlotte, sans digressions inutiles. Avec lui, on ne traîne pas. Tout doit aller vite. Mais sur le mode « vite et bien ». Une anecdote personnelle. À un moment (dont je n’ai plus la date en tête), partant pour une direction d’administration centrale au ministère de l’Agriculture, Bernard Vial doit abandonner ce coaching des groupes. Il me propose de prendre sa succession. Je suis alors directrice de recherche CNRS au CEVIPOF (un des laboratoires de Sciences Po). En un éclair, j’évalue la masse de travail et les responsabilités afférentes, dans cette « Rocardie » qui bruisse de projets et se voit déjà (pour certains) en haut de l’affiche. Il me faut choisir entre la recherche et la politique. Laissant à d’autres le soin de cheffer, je choisis la recherche, ce que je n’ai jamais regretté.
Les élections de 1986 approchent et 1988 n’est pas loin non plus. François Mitterrand se représente et l’emporte, Michel Rocard devient premier Ministre. Je fréquenterai encore un temps Matignon qu’il quitte en 1991 (comme il quitte alors « Micheleu », devenue une amie).
Nombre d’images surgiront à nouveau lorsqu’en 2016, dans la cour des Invalides, je serai face à son cercueil. Souvenirs, souvenirs… d’un temps où la gauche était portée par des figures en mesure de l’incarner.
Janine MOSSUZ-LAVAU
Directrice de recherche émérite CNRS au CEVIPOF, Membre du Conseil d'administration de MichelRocard.org