Claude JUIN
Mai 2021
J'ai la mémoire assez fidèle - sinon de la date précise -, vraisemblablement en 1960, des circonstances de ma première rencontre avec Michel Rocard. Elle fut initiée par mon ami Pierre Bérégovoy. Nous nous sommes connus militants au PSA (Parti socialiste autonome, créé en septembre 1958 à l'issue du congrès de la SFIO par la minorité menée par Edouard Depreux, ancien ministre de l'Intérieur dans les années 1945/50), puis du PSU en 1960. Je ne pouvais qu'être satisfait par la suite de l'élection de Michel à la tête du PSU.
Pour des raisons professionnelles, je suis arrivé à Niort en février 1972, comme DRH de l'entreprise Rougie/Mussy (fabrication de panneaux de contreplaqués et de particules). Je fis rapidement connaissance de René Gaillard, député socialiste et maire de Niort, proche de Mauroy, mais qui respectait et estimait Michel. Ce qui était loin d'être le cas de nombreux militants de la fédération des Deux-Sèvres, notamment les partisans de Fabius, ce qui ne surprendra pas les lecteurs qui ont par ailleurs connu cette époque militante. Au cours de la période 1975/1990, porteurs de la motion C, nous étions minoritaires, environ une cinquantaine aux différents congrès. Nous étions qualifiés de "politiciens à l'américaine". L'ambiance au sein de la CEF du département des Deux-Sèvres était loin d'être celle que j'aurais souhaité vivre au milieu de camarades tant le mépris, voire jusqu'aux insultes à notre égard, pouvaient assez souvent l'emporter sur les débats amicaux... Nous savons combien Michel est le premier et à d'autres niveaux de responsabilités, y compris comme Premier ministre, à avoir vécu et subi dans le parti, ce genre d'ambiance que je n'hésite pas à qualifier de délétère... Il n’empêche, et peut-être à cause des fortes rivalités entre porteurs des motions, nous, rocardiens, faisions corps, nous nous respections, nous étions pour la plupart fidèles et présents dans les moments difficiles. Encore aujourd'hui, au hasard des rencontres, nous avons conservé cette amitié.
La configuration géographique du département, son histoire, sa sociologie la nature des emplois amènent à distinguer le nord : Bressuire/Thouars, le sud : Niort/Melle. De même, politiquement, le nord catholique à droite, le sud laïque à gauche, bien que cette ligne de partage politique se soit en partie effondrée aux élections municipales de 2014 avec l'arrivée d'un maire de droite à Niort. Le P.S. - que j'ai quitté en 1995 - subissait cette ligne de partage, ainsi que notre courant : pour faire simple, je peux dire que Michel Hervé animait notre courant dans le nord et moi-même dans le sud.
Fort heureusement, nous avons créé un « Club Convaincre Deux-Sèvres » où, comme ailleurs, se retrouvèrent des rocardiens adhérents ou non au P.S. Nous étions au plus fort une trentaine, ce qui pour notre département n'était pas mal du tout. Nous avons organisé des rencontres-conférences ouvertes au public, qui ont été l'occasion de débats riches sur la place de l'État et la nature de la planification au sein d'un pouvoir socialiste... Ne furent-ils pas l'essence même des débats rocardiens ? Notamment, je ne regrette pas d'avoir participé aux rencontres rocardiennes qui ont eu lieu au cours des années 1975/1981. Comment pourrais-je oublier celle de l'été 1980 à Villeneuve-lès-Avignon, où Michel nous avait conviés pour notamment échanger sur la meilleure stratégie en vue de son éventuelle candidature à l'élection présidentielle de l'année suivante. Ils furent riches, voire enthousiastes, nos débats dans la Cité des papes. A aucun moment, sauf erreur de ma part, Michel n'avait évoqué son intention de faire une telle annonce les jours suivants... C'était cela aussi Michel.
J'en rigole aujourd'hui. J'ai passé en sa compagnie de « sacrés » moments. L'un des derniers : lorsqu'il fut membre de mon jury de thèse de doctorat à l'EHESS en mars 2011, portant sur "La guerre d'Algérie. La mémoire enfouie des soldats du contingent". Mon directeur de thèse, Michel Wieviorka, fut très heureux de l'accueillir, ainsi que mon vieil ami Henri Alleg. Michel accepta ma proposition, ajoutant qu'il s'agissait pour lui d'une expérience inédite.
Claude JUIN
Maire de Bessines de 1983 à 1995, Conseiller général de 1988 à 1995
De sa thèse, Claude Juin a d'abord tiré un récit : "Des soldats ordinaires. Guerre d'Algérie : des jeunes gens ordinaires confrontés à l'intolérable.", publié en 2012 chez Robert Laffont, puis un autre livre : "Guerre d'Algérie. Le silence des appelés", paru en 2021 aux éditions Nouvelles Sources.