MichelRocard.org

> Recherche avancée

Fondation Jean Jaurès

Maurice LAZAR

Juin 2025

La constance

N'ayant aucune révélation particulière à apporter sur l'action et les idées de Michel Rocard, la principale sinon la seule raison de cet apport à la rubrique des « parcours rocardiens » est que je crois qu'il ne reste plus beaucoup de survivants du « groupe des Étudiants socialistes » de la fin des années 40-début des années 50, qui de plus soient demeurés « rocardiens » jusqu'au bout.

J'ai fait sa connaissance à son entrée dans le groupe de Paris des Étudiants socialistes en 1949 - où je l'avais précédé deux ans auparavant - lorsqu'il y est apparu avec son équipe de Sciences Po qui tranchait un peu dans le climat ambiant, apportant des idées neuves par rapport à celles des adhérents habituels qui étaient souvent liés à la SFIO par habitudes familiales. Ce n'était pas son cas, ni d'ailleurs le mien. Issus de milieux différents, nous souhaitions un engagement à gauche, avec une liberté de parole assurée, dans un combat contre le stalinisme alors dominant. Sur ce dernier point, Rocard affichait une certaine originalité car, déterminé dans son rejet du stalinisme, il acceptait une discussion avec les communistes, impossible pour beaucoup d'entre nous. L’existence de groupuscules trotskistes, empêtrés dans leurs discutailleries et plus encore marqués du déni de la nocivité du bolchevisme, ne nous laissait guère d'autre choix.

Je n'ai pas fait partie du cercle de ses proches, mais peu nombreux, nous nous connaissions tous. Il a vite pris un ascendant sur le groupe, devenant son dirigeant, d’abord à Paris puis à l'échelle nationale. Je me souviens assez précisément de son affrontement houleux de décembre 51 avec Le Pen pour tenter de lui prendre la direction de la Corpo de droit, mais les manigances de l'extrême-droite fasciste renaissante à l'époque, sept ans après la Libération, l'en ont empêché. Un autre souvenir personnel est celui de la demande qu'il m'a faite d'écrire pour « L'Étudiant socialiste » de mars-avril 54 un article commémorant le quatrième anniversaire de la mort de Léon Blum. Je me demande rétrospectivement s'il s'agissait d'un compliment pour la connaissance et l'empathie que j'étais censé porter à Blum, ou plutôt une critique voilée de mon orthodoxie socialiste de l'époque. Je retiens la première hypothèse. J'ai conservé cet article, parmi quelques autres, qui représente ce que je pensais dans ce temps, avec toutes les espérances rétroactivement naïves qu'il traduisait. Ces espérances étaient d'ailleurs aussi celles de Rocard qui, dans un article de janvier-février 54 du même bulletin, intitulé « Le socialisme à la recherche d'une doctrine rajeunie », écrivait sur le même registre, finalement assez traditionnel. Il lui faudra beaucoup de temps, à lui comme à bien d'autres, pour passer du socialisme, substitut au capitalisme à la social-démocratie contre-pouvoir régulateur du capitalisme, ainsi qu'il le dira dans son discours de remerciements pour la réception de la grand-croix de la Légion d'honneur, du 9 octobre 2015.

Je l'ai de nombreuses fois entendu dans des réunions et croisé à des occasions liées souvent à la Yougoslavie, à laquelle il s'est intéressé notamment à propos de l'autogestion et plus tard des guerres sur lesquelles on ne souligne pas assez son désaccord patent avec Mitterrand, celui sur le Rwanda étant maintenant établi. Pour des raisons qui me sont particulières, j’ai été très pris par ces guerres puis chargé des « affaires yougoslaves » de 1991 à 1994, au secrétariat international du PS, alors sous la direction de Gérard Fuchs. J'ai eu la satisfaction en tant que rocardien « préhistorique » de voir que mon courant était le plus engagé au PS pour la défense de la Bosnie, contre la politique de Milosevic en tout point semblable à celle aujourd'hui de Poutine contre l'Ukraine. Il me revient à ce propos avoir été présent à l'entretien entre l'ambassadeur de Bosnie Nikola Kovac et Michel Rocard avant le voyage de celui-ci à Sarajevo et son communiqué commun avec le Président Izetbegovic de soutien à la Bosnie. Ce voyage, malgré le silence qui l’a accompagné, a dû déplaire en haut lieu au point de provoquer une visite d'Hubert Védrine, alors secrétaire général de l'Élysée, au bureau de G. Fuchs pour m'informer que la France ne ferait jamais la guerre à la Serbie... On connaît la suite. Le côté drôle de l'histoire a été que dans une réunion de toute la « gauche » de l'époque pour organiser une action « pour la paix en Bosnie » à l'initiative du PC, ce sont les deux représentants du PS qui se sont montrés les plus hostiles à la politique officielle de la France. G. Fuchs a rejeté en janvier 1994 les propositions du PC, les qualifiant de « gesticulatoires ».

Tout ceci fait partie de mon « parcours rocardien ». Il est demeuré constant à part quelques détours. Le premier a été celui de mon départ de la SFIO en 1957, ne supportant plus une présence physique dans ce parti enfoncé dans le molletisme. J'en avais informé Rocard par une lettre. Après un passage par l'UGS, je l'ai retrouvé au PSU, avec la fusion avec le PSA, puis suivi pour rejoindre le PS. Je ne le regrette pas, la tentative de rénovation méritant d'être lancée. Mais elle a finalement échoué et on sait pourquoi. Dans ma section du 14° de Paris, c'est le secrétaire de section qui appelait à voter Tapie aux européennes... C'était l'échec du big bang espéré par Rocard. Pour ma part, je l'ai enregistré en quittant, fin 94, la succession des partis qui ont occupé une partie de ma vie pendant près de 50 ans. Rocard a continué de faire son boulot au mieux jusqu'au bout et il faut l'en féliciter. Mais Rocard était Rocard et à ce titre, il reste irremplaçable. Je crois que ma dernière rencontre avec lui remonte à 2010 à l'occasion de la célébration du 50° anniversaire de la création du PSU.

Maurice LAZAR

Partager sur