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Fondation Jean Jaurès

Gérard GOUZES

Avril 2022

Je ne venais pas du PSU. Issu d'une famille de l'Aude, c'était la vieille tradition socialiste qui me servait de racines. Cela me conduisait à désespérer de voir la gauche divisée, dispersée en de multiples clubs, associations, mouvements… J'adhère à la Convention des Institutions Républicaines (CIR) dont le leader, François Mitterrand, appelait à l'Union de la Gauche. La vieille SFIO moribonde cherchait son renouveau et allait créer le « Nouveau Parti socialiste » avec Alain Savary. Il y eut le Congrès fondateur du PS en 1971 à Épinay, sans Rocard. Trois ans plus tard, au congrès de Pau, Michel Rocard rejoignait Gilles Martinet. C'est là que je découvrais un homme, parfois difficile à déchiffrer, mais manifestement réaliste et sincère dans ses convictions ; mais ce n'est qu'au Congrès de Metz en 1979 que je franchissais le Rubicon avec une dizaine de "conventionnels", dont Jean-Pierre Cot, pour rejoindre la motion que pilotait Michel Rocard. François Mitterrand et ses amis allaient m'en tenir rigueur pendant très longtemps. Même si je me sentais un peu "pièce rapportée" au milieu de ses ex-PSU, c'était au-delà des thèses sur l'autogestion par le "parler vrai" que ce mouvement me séduisait.

Dans la fédération du PS de Lot-et-Garonne, je réussissais à rassembler plus de 21% de militants. Michel me fit l'honneur, avant les élections législatives de 1978, de venir soutenir ma candidature et, en même temps, apporter son aide aux sinistrés de ma circonscription victimes des inondations toujours spectaculaires de la Garonne. C'est à partir de là qu'avec un autre rocardien, Alain Richard, après la victoire de la gauche en 1981, nous avons entrepris de mettre en place la loi sur les catastrophes naturelles, preuve que le socialisme pouvait apporter un pragmatisme idéologique utile aux malheureux sinistrés face au lobbying des assurances !

L'application dogmatique de beaucoup de mesures espérées par le peuple de gauche, par le gouvernement de Pierre Mauroy soucieux de ne pas décevoir les électeurs après plus de 23 ans d'absence au pouvoir, allait nous conduire au tournant de la rigueur dès 1983. L'aigreur de ceux à qui l'on avait promis en sous estimant le réel allait nous coûter cher dans les années suivantes. Le "parler vrai'' de Michel Rocard revenait dans toutes les conversations politiques.

 Au Président de la République, en visite officielle à Marmande le 11 octobre 1984, que j'accueillais à l'hôtel de ville, que j'avais conquis à la tête d'une liste d'union de la Gauche en 1983, je rappelais ce que Victor Hugo avait dit un jour : "Savoir au juste la quantité d'avenir qu'on peut introduire dans le présent, c'est là tout le secret d'un grand gouvernement."                                                                       

A l'Assemblée nationale, avec les députés de notre sensibilité, je retrouvais Pierre Brana, Charles Josselin, Michel Sapin, Robert Chapuis et d'autres encore. Nous préparions nos interventions pour tous les débats en cours, au café "Thoumieux" rue Saint-Dominique à Paris. Au Congrès de Toulouse en 1985, après celui de Valence, je réussis à rassembler plus de 34% des mandats pour la motion C (celle de Michel Rocard) dans mon département, ce qui me valut d'être le dernier sur la liste au législatives au scrutin proportionnel départemental de 1986 et par conséquent non élu.

Le retour au scrutin législatif majoritaire à deux tours et l'arrivée de Michel Rocard à Matignon, avec "la France Unie" en 1988, me rendit le mandat perdu en 1986. Les débats sur le traité de Maastricht et l'Europe, dont j'assurais le rapport avec d'autres rocardiens comme Charles Josselin, Gérard Fuchs, Louis Le Pensec et tant d'autres, marquaient bien déjà notre attachement européen.

Après le congrès de Rennes en 1990, marquant la division des socialistes notamment entre Fabius et Jospin, ce fut, avec la démission de Michel Rocard voulue par Mitterrand et malgré mon accession à la présidence de la Commission des Lois de l'Assemblée nationale, la malheureuse fin de mandat présidentiel suivie d’une nouvelle défaite pour moi aux législatives de 1993. Comme toute la gauche, le PS allait sombrer cette année-là aux législatives, ouvrant une nouvelle période de cohabitation au sommet de l'État.

Michel Rocard devint le Président de la Direction Nationale du Parti en juillet 1993 et Premier Secrétaire au Congrès du Bourget en décembre 1993. L'air du Renouveau soufflait chez les Socialistes et nous préparions le Big Bang annoncé par Michel. Ce fut aussi l’époque où il m'avait demandé de lui préparer un voyage en Espagne pour rencontrer les dirigeants du PSOE et Felipe Gonzalez, comme les autonomistes catalans et le maire de Barcelone Pasqual Maragall et Jordi Pujol.

Mais la liste que mena Michel Rocard aux élections européennes en 1994 piratée par celle de Bernard Tapie, soutenue par l'Élysée, signa la fin des espoirs de voir Michel Rocard un jour Président de la République. Heureusement la dissolution provoquée par le Président Chirac élu en 1995 allait redonner, dès 1997, une chance à la gauche plurielle de Lionel Jospin, de retrouver le pouvoir dans une autre cohabitation et pour moi, un troisième mandat législatif.

Pendant toute cette période, j'ai pu mesurer l'immense potentiel des "rocardiens" dans les débats, dans les projets, les colloques, à l'Assemblée Nationale comme aux assises des Socialistes, comme dans les congrès suivants. Notre courant, comme cela s'appelait à l'époque, éditait des notes, des feuilles de réflexions qui animaient nos réunions (Notes et Arguments). C'était les États Généraux du Parti Socialistes à Lyon en juillet 1993, l'invitation de Michel Rocard à l'émission 7/7 d'Anne Sinclair sur TF1. Nous alimentions beaucoup les débats au sein du Parti et dans le pays.

Il y avait nos réunions au 266 Bd Saint Germain puis tous les mardis sur les textes en discussion au Parlement, avec la soixantaine de députés socialistes, dans un local que nous avions loué 13 bis Avenue de la Motte-Picquet. C'était l'Action pour le Renouveau Socialiste (l'ARS) présidée par Claude Évin, avec Alain Richard, Catherine Trautmann, Pierre Bourguignon… que j'ai animée chaque semaine, aidé par la merveilleuse et efficace Catherine Le Galiot. Un site internet était mis en place, une lettre hebdomadaire, des colloques, des forums. Nous débattions de la croissance, des retraites et de la démographie, de la croissance, de la réforme du RMI avec Roger Godino, et de la justice sociale, de l'économie comme du chômage, des finances publiques... Nous préparions un colloque sur "Un nouveau compromis social" pour le 20 novembre 1999, qui faisait dire à la presse que les rocardiens étaient de retour. Le journal Libération titrait : "les rocardiens revendiquent la paternité de la politique Jospin", Le Monde notait que nous regroupions une soixantaine de députés et soulignait que nous étions "Ce mélange de réalisme hérité du mendésisme et de relative orthodoxie sociale-démocrate propre à la demande rocardienne"; même Le Figaro écrivait : "Le rocardisme a ouvert la voie au ralliement socialiste au principe de réalité.. Réunie à l'initiative de l'ARS, le rocardisme reprend sa longue marche." Comme le déclarait Claude Évin, nous étions le "poil à gratter" mais toujours loyaux.

L'échec de Lionel Jospin à la Présidentielle de 2002, puis après la victoire de François Hollande contre Nicolas Sarkozy en 2012, suivie de la destruction du Parti Socialiste par "les frondeurs" de Benoît Hamon, Christian Paul, Emmanuel Maurel et leurs amis en 2017… nous nous sommes dispersés. Beaucoup, comme Alain Richard, François Patriat, Jean Launay…, moi-même et d'autres socialistes comme Le Drian, Parly, Véran, Borne, Wargon, Savary ont créé au sein de la majorité présidentielle actuelle Territoires de Progrès (TDP) qui s'est donné pour objectif de reconstruire un véritable parti social-démocrate à l'européenne… D'autres comme Elisabeth Guigou, Marisol Touraine, François Rebsamen appellent à voter Emmanuel Macron.

Ce sera certainement une autre épopée, mais toujours celle de ceux, à gauche, qui se souviennent du discours de Michel Rocard au Congrès de Nantes sur les deux cultures de la gauche le 18 juin 1977, celle fondée sur la décentralisation, le refus des dominations arbitraires, qui préfère le contrat au règlement et l’expérimentation à la norme, bref ceux qui veulent construire le progrès social avec une économie forte et la liberté avec la responsabilité.

Gérard GOUZES

Ancien député-maire de Marmande (47)

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