MichelRocard.org

> Recherche avancée

Fondation Jean Jaurès

Martine MICHELLAND-BIDEGAIN

Mars 2020

J’ai un souvenir assez précis de mon « entrée en politique », en 1955, au début de la guerre d’Algérie. J’étais en hypokhâgne au lycée français de Londres, je m’étais abonnée à France Observateur et les chroniques, de Jean Daniel, Roger Stéphane, Claude Bourdet, Gilles Martinet, etc., fournissaient des arguments à mon anticolonialisme instinctif. A Sciences Po, je milite à l’UNEF où les « minos » (socialistes plus JEC) viennent de prendre le pouvoir : je vois défiler les présidents P.Y. Cossé, Freyssinet, Pierre Gaudez qui positionnent le mouvement étudiant en première ligne du combat anticolonialiste, pour la paix et l’indépendance de l’Algérie.

En troisième année, je fais un séjour en sanatorium étudiant et, de retour à Paris, en 1960 j’adhère au PSU : c’est Marc Heurgon qui me fait passer mon examen d’entrée au parti ! Mais je milite surtout dans le mouvement étudiant et, forte de mon expérience du système de santé étudiant, je me retrouve présidente nationale de la MNEF et enfin vice-présidente universitaire de l’UNEF.

Le programme de l’UNEF s’appuyait sur les principes de la charte de Grenoble (1946) : « l’étudiant est un jeune travailleur intellectuel » et nous revendiquions un salaire étudiant. J’avais la charge de ce dossier. Il fallait estimer le coût de ce programme en tenant compte des crédits d’impôts à récupérer sur les parents ! Compliqué. On me dit : « Tu devrais demander conseil au camarade Rocard. Il est inspecteur des finances, il pourra t’aider ». Sitôt dit, sitôt fait. C’est ainsi que j’ai travaillé avec Michel pour la première fois. 57 ans plus tard, le salaire étudiant demeure une bonne idée.

Les Rencontres Socialistes de Grenoble sont le lieu où se forge l’idéologie de la deuxième gauche, avec Mendès France, la CFDT, le PSU. J’en suis la trésorière et les réunions d’organisation des colloques se tiennent souvent à la maison avec Marcel Gonin, secrétaire confédéral de la CFDT, Georges Lavau, Serge Mallet… A la rencontre de Grenoble, le grand sujet, c’était le plan et le marché. Nous nous démarquions clairement des planificateurs communistes et nous tenions à l’écart la SFIO sans principes qui s’était compromise dans les guerres coloniales. Après sa présentation à Saint-Brieuc, une rencontre régionale se tint à Mourenx (Pyrénées-Atlantiques) autour du rapport de Michel Rocard : « Décoloniser la Province », véritable manifeste girondin, et eut un fort retentissement.

Malgré mai 68, la décennie 70 restait sous la domination de la droite. Le giscardisme apparaissait alors comme le porteur de la modernité. Michel Rocard nous mobilisa pour ses deux campagnes électorales dans les Yvelines (73 et 78). J’étais sensée utiliser le carnet d’adresses de José, mon mari, pour collecter des fonds pour la campagne. Échec complet. J’ai découvert à cette occasion que les patrons n’aimaient pas du tout l’autogestion.

A cette époque, Michel, Michèle, Olivier et Loïc venaient chaque année dans notre maison du Pays Basque, à la Toussaint et aussi en juillet pour les fêtes de Pampelune, dont Michèle était une aficionada. Tout le monde était détendu et joyeux mais politiquement, ce n’était pas la joie. Michel a démissionné du PSU devenu une secte gauchiste et rejoint le parti socialiste en 1974 avec une partie de ses troupes. Mitterrand lui avait bien expliqué que le parti n’était plus à prendre. 1978 : la gauche perd encore les législatives. Michel, à la télévision déclare : « il n’y a pas de fatalité à l’échec de la gauche ». Cette phrase marque le début de son ascension dans les sondages et la remobilisation de la gauche. Christian Blanc orchestrait tout cela depuis le local du 98, rue de l’Université.

En 1981, après la victoire de Mitterrand à la présidentielle, Michel est nommé ministre d’Etat chargé du Plan et de l’aménagement du territoire. Comme j’étais chargée de mission au commissariat du Plan, Michel me demande de rejoindre son cabinet comme conseiller technique. Je garde un très mauvais souvenir de ces vingt mois. Michel était dans un placard doré. Il décourageait tous les amis de la deuxième gauche qui lui proposaient leurs services. « Qu’on ne vous voie pas avec moi, cela va vous desservir dans votre carrière ! ». Tous les mercredis, de retour du conseil des Ministres, il menaçait de donner sa démission : « On a encore dépensé 10 milliards, aujourd’hui. On va dans le mur ! ». Mais Huchon le retenait par la manche.

Quand Michel est parti au ministère de l’agriculture, j’ai été embauchée par le groupe Thomson. Lassée de voir mes idées toujours minoritaires, je me suis éloignée de la politique et j’ai été séduite par les entreprises. Plus tard, j’ai rejoint Christian Blanc à Air France. Et enfin j’ai été chargée de mission au ministère des finances par DSK et Christian Sautter pour la formation des cadres en vue de la réforme du ministère.

Martine MICHELLAND-BIDEGAIN

Partager sur