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Fondation Jean Jaurès

Pierre ZÉMOR

Novembre 2020

Mon itinéraire dans la saga rocardienne

Mon intérêt pour la politique s’est éveillé, sur fond de guerre d’Algérie, par des rencontres (Crémieux-Brilhac, Hessel, Canac) autour de Mendès France : « Dire la vérité et rechercher le dialogue avec les citoyens ».

Fin 1960, invité au bureau de l’ADELS, je fais la connaissance de son président, Michel Rocard. Vivacité d’analyse, regard systémique (des cages d’escalier au devenir de la planète), rigueur éthique, conviction contagieuse. Je suis rocardisé avant d’être rocardien !

MR marqua de l’intérêt pour ma formation à la recherche opérationnelle : des occasions d’échanges sur la rationalité en politique ou sur l’usage de la maïeutique dans les processus de décision. Dans l’esprit du Décoloniser la province, j’anime des stages sur les territoires avec Pierre Grémion et Jean-Pierre Worms, avec des GAM et à Grenoble. Fréquenter la rue Mademoiselle m’amène à adhérer au PSU dans le 15ème ; j’y fais une campagne pour Pierre Naville et j’ai, comme Gisèle Halimi, ma voiture démolie par l’OAS ; en 1969 je suis go between entre PSU et cellule de campagne.

Mes activités (directeur associé de sociétés de conseil, ultérieurement successeur de Paul Delouvrier comme PDG d’une SA d’HLM) laissaient peu de disponibilité. En juin 1974, j’ai proposé à MR une démarche plus professionnelle et un cahier des charges pour sa communication et sa stratégie. Je devins prof en politique d’entreprise à HEC pour dégager dans mon agenda du temps pour MR et son équipe : en moyenne le mi-temps des quinze années 1974-1988 !

La trace de mon parcours rocardien est dans le collectif, la coordination de réseaux et l’animation de groupes : image et stratégie, sondeurs et politologues avec Gérard Grunberg, « prospol » avec Michèle Legendre, courants socio-culturels, prospective, panels avec Claude Marti, média-training avec Gilbert Denoyan, mise en bouche avec Pierre Encrevé. Pour préparer et mener la campagne de 1977 à Conflans-Sainte-Honorine et pour organiser la municipalité, je me suis fait adopter, parfois héberger par les militants : conseil maïeuticien oblige !

Et les choix stratégiques ? MR a deux périodes d’opportunité, 1975 à 1981 avec l’obstacle FM et 1985 à 1995, plus ouverte. Georges Dayan, ami oranais de mes parents, me dit l’affrontement avec FM inévitable. MR prend date le 19 mars 1978, au soir du 2ème tour des législatives : « Il n’y a pas de fatalité de l’échec de la gauche ». Mais battus à Metz, il ne nous reste que dissuader FM. Un travail de 17 mois, sous la houlette de Christian Blanc et fin août 1980 l’apogée à Villeneuve-lès-Avignon. Ces efforts s’échoueront le 19 octobre avec ‘l‘appel de Conflans’, trop solennel pour une prise de rendez-vous …

Maire-adjoint à Cachan en charge de la rénovation du centre-ville et président de la commission "Sport, Loisirs, Tourisme" du Conseil Régional d’Ile de France de 1986 à 1992, je participe au Comité directeur du PS et suis Vice-président de la FNESER.

Après la démission de MR en 1985, disponible en année sabbatique à HEC, je contribue, de mai 85 à l’été 86, à l’installation de MR et de son équipe rapprochée au 266 bd St Germain. La "holding Rocard" se structure autour de la réunion du mercredi : partie A (stratégie) ; partie B (réponses d’actualité). Un jeune trio, Manuel Valls, Stéphane Fouks, Alain Bauer m’aide... MR s’en amuse. Accélération, le 13 juin l’émission Questions à domicile, au 66 Bd Raspail, ouvre une période d’intense activité médiatique ; un séminaire à Conflans les 3/4 janvier 1986 enrichit les tableaux de bord "image et stratégie" ; une campagne d’affichage est prévue dont le cahier des charges retient des formules éditées par Convaincre pour, sans photo, dire le style, les convictions de MR, sa volonté d’une autre relation de la politique avec la société. Un slogan testé affirme un engagement mendésien : « Reconnaitre la complexité des choses et faire appel à la lucidité des gens ». Compte tenu de la diffusion restreinte, Guy Carcassonne a l’idée d’inviter le dimanche soir, veille de la campagne, les principaux médias à venir recueillir auprès de lui et moi des affiches en format réduit et les adresses de panneaux d’affichage à photographier ou filmer… Belle couverture médiatique pour un petit budget !

Les choses s’emballent en ce qui me concerne en mai-juin 1988 : MR me dit vouloir des députés tels que moi et que, faute d’avoir une place dans son Cabinet, il pourrait m’envisager comme secrétaire d’État ; il charge Alain Richard de me trouver une bonne circonscription (autre que la 11ème du Val-de-Marne où j’habite mais où Marchais est candidat) ; lors des tractations de la ‘‘commission des résolutions’’ du PS, je suis sacrifié dans cette 11ème ; je néglige le Yalta entre le maire de Cachan et le PC et m’offre le plaisir d’une belle campagne rocardienne avec Claude Posternak, Bernard Spitz et Isabelle et force citations de MR ; une fraude massive me prive de devancer Marchais et rend difficile un recours devant le Conseil Constitutionnel ; je me retire pour le second tour.

Ma nomination au Conseil d’État est une consolation et un changement d’itinéraire. Je me consacre à mon nouveau double métier : les scrupuleuses analyses du juge administratif et les conseils au gouvernement, que je peux trouver timorés face à l’opportunité politique.

Je poursuis ma réflexion sur la communication, sur tous ses registres (de l’accès à l’information à la concertation locale à Cachan ou nationale avec la CNDP). Ma proximité avec le PM va faciliter la création fin 1989 de l’Association "Communication publique" au Conseil d’État avec le soutien de Marceau Long. Un rapport sur l’organisation de la communication du service public m’est demandé par Michel Durafour et Jean-Pierre Soisson. D’abondants travaux vont susciter quelques échanges avec Matignon sur le service public, sur le travail de Louis Joinet et la CNIL, sur la réforme des PTT (sans difficultés à convaincre Hubert Prévot de faire remonter le changement depuis les régions : le bottom up maïeuticien !) et sur la loi du 15 janvier 1990 qui tente une frontière entre communication institutionnelle et communication politique

Au cours de mes visites à MR, je manifeste mon désaccord sur le changement d’orientation de la communication. "Coller à l’Élysée" a fait perdre à MR son authenticité, pour une douteuse empathie affichée par Jacques Pilhan. Michel Rocard n’aimait pas aborder ce sujet et refusait de me suivre dans un procès en duplicité. Trop "fils de pub" à mon goût, Pilhan a eu la fâcheuse tendance de se substituer aux politiques et d’encourager des "coups" (au PS ou à la tête de liste des européennes) contre-productifs dans la perspective d’une candidature de MR à la présidentielle. On abandonnait les registres du parler juste et de la conviction. Or en 1991 Michel Rocard pouvait être "le candidat virtuel" porté par l’opinion et relativement peu contesté au PS. Était-ce sans compter avec un Mitterrand disposant, à l’égard de Rocard, d’un pouvoir de nuisance, y compris par délégation ? Exit un scenario 1995 !

A rencontrer fréquemment Michel Rocard, son « moine-soldat » a toujours eu des encouragements pour innover ("points publics polyvalents de proximité") ou pour que le débat public contribue au compromis social, en dépit du scepticisme qu’inspirait à MR le jeu des médias. Il a surtout soutenu l’entreprise utopique de critiques et de préconisations du "Cahier" Pour une autre communication politique Navigant en Arctique avec Michel Rocard en aout 2015, j’ai évoqué avec lui nombre moments du parcours rocardien et nous avons souri. Le privilège de sa confiance et de son amitié m’a éclairé plus d’un demi-siècle. Dans ces temps de multi crises, il me fait, il nous fait, douloureusement défaut.

Pierre ZÉMOR (administrateur de MichelRocard.org)

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