Pascal DORIVAL
Été 2022
Lors d’une rencontre récente de l’Institut Tribune Socialiste (nostalgie du PSU quand tu nous tiens !)…, Jean-François Merle m’a fait l’amitié de me proposer un article pour la rubrique « parcours rocardien». J’ai volontiers accepté, tout en sachant que j’étais un bien étrange rocardien à l’origine de la motion qui a mis en minorité Michel Rocard et les siens au conseil national du PSU en 1974.
J’ai connu Michel Rocard à l’automne 1967. Étudiant à Sciences Po, j’avais lu avec intérêt « La République moderne » de Mendès France. Je suivais les propositions du PSU et de son jeune secrétaire général. Par un ami, j’ai eu un contact avec Michel et nous avons organisé une rencontre avec une dizaine d’amis autour de lui. Trois heures de débat passionnant. Quelques mois plus tard, ce fut Mai 68. J’ai adhéré alors à la section PSU de Sciences Po et j’ai joué un rôle très actif dans le mouvement étudiant : délégué de conférence, membre de la commission paritaire négociant le nouveau statut de l’école, bientôt président de l’UNEF Sciences Po.
Quelques mois plus tard, j’entrais au bureau national de l’UNEF et au secrétariat des ESU. En mai 1970, j’ai refusé d’être président de l’UNEF, malgré les demandes du Bureau national du PSU et du secrétariat étudiant. Je suis désigné avec Jacques Sauvageot comme co-responsables des ESU. Rapidement, nous nous séparons, lui prônant le départ de l’UNEF, moi d’y rester. Le BN lui donna raison. Je démissionnais immédiatement de mes responsabilités.
Quelques mois plus tard, Michel me demanda d’entrer au BN. Je lui dis que j’y étais prêt s’il y avait accord entre son courant et le mien (courant 5). « Si à gauche », me dit-il. Cet accord ne se fit pas à Lille. En début 1972, j’ai demandé à le rencontrer pour lui faire part de ma grande inquiétude devant l’explosion du PSU et lui proposer de préparer un nouveau congrès dans une commission rassemblant à parité les rocardiens et l’opposition. Cela se fit et produisit le Manifeste de Toulouse « Contrôler aujourd’hui pour décider demain ». J’entrais alors au BN. Période passionnante avec des négociations avec le PCF, l’affaire Lip, le Chili, avec le sentiment que le PSU était bien présent. Je m’occupais de la formation. Les stages d’été se tenaient aux Guions, petit hameau des Hautes-Alpes, géré par des copains du PSU lyonnais, et Michel y venait, se sentant si heureux au contact des militants dans ce lieu superbe, où il pouvait voir passer des planeurs. Il riait comme nous tous lors du meeting bidon que nous organisions, celui-là « contre l’implantation d’une base de sous-marins atomiques au lac de Serre-Ponçon ». J’y suis intervenu comme représentant du PSU qui proposait un contre-plan.
Les résultats aux élections législatives de 1973 sont faibles et nous voilà confrontés après les présidentielles de 1974 (où j’avais soutenu la candidature Mitterrand), à l’éternel débat du PSU depuis sa création, du lien avec le PS. Je rédige alors avec André Barjonet, Roland Cayrol, François Péronnet, Christian Guerche et quelques autres un 3ème texte d’orientation. Au conseil d’Orléans, Michel est mis en minorité. Ce furent des heures difficiles sur le plan humain : j’avais rompu avec les rocardiens (quelques années plus tard, lors d’une réunion que nous avions organisée avec François Soulage et Patrick Viveret, un participant a dit : « mais que fait Dorival ici, il nous a mis à la porte du PSU »). Je participe au nouveau secrétariat du BN du PSU aux côtés de Mousel, Leduc, Piaget et Barjonet. Je n’ai plus alors de contact avec la « rocardie ».
Après les élections de 1981, où j’ai soutenu la candidate du PSU, Huguette Bouchardeau, je rencontre parfois Robert Chapuis, Patrick Viveret, François Soulage. François me demande de venir à la délégation à l’économie sociale (DIES), récemment créée par Michel. J’y travaille avec passion et rencontre parfois Michel, et, plus tard, Jean Le Garrec, devenu tutelle de la DIES dans le 3ème gouvernement Mauroy. En 1984, je rejoins le cabinet d’Huguette Bouchardeau. J’y suis chargé des relations avec le Parlement, occasion de travailler avec des députés amis rocardiens anciens du PSU. Nous travaillons alors à un livre collectif : « C’est dur d’être de gauche, surtout quand on n’est pas de droite ». Je participe à plusieurs débats autour de ce livre, notamment à Orléans avec Jean-Pierre Sueur, avec les Lecuir dans le Val d’Oise.
Ma vie politique prend fin. Je me consacre dorénavant à du militantisme local avec la création d’une crèche parentale, d’un habitat collectif autogéré à Meudon, avec l’animation de l’association des parents d’élèves de l’École la Source, dont je présiderai le Conseil d’administration. Je crée avec Jean-Yves Barrère (que j’avais connu au PSU) et d’autres anciens du parti, « Citoyens de Meudon » qui a présenté une des premières listes « civiques » aux municipales de 1989 avec 10 % des voix. Impossibilité alors de discuter avec une section PS pleine d’arrogance. Il en sera différemment en 1995 où nous imposons une liste paritaire Gauche et Citoyens/associatifs, avec un résultat brillant à 45 %.
Mais, pour l’essentiel, mon militantisme se fit dans l’économie sociale. En fin 1985, nous créons le Centre des jeunes dirigeants de l’économie sociale (CJDES) avec François Soulage, Hugues Sibille et quelques autres. J’en devins le délégué général au moment de l’alternance de 1986. De grands dirigeants du secteur, tous proches de Michel Rocard, comme Jacques Vandier, directeur général de la MACIF, Georges Rino, PDG de Chèque-Déjeuner, Jacques Moreau, PDG du Crédit coopératif, nous encouragèrent. Ce furent des années exceptionnelles de débats intenses, où Patrick Viveret joua le rôle de notre grand intellectuel. Beaucoup se souviennent encore de son intervention éblouissante « Économie sociale, logique de rattrapage, logique d’anticipation ». Nous nous créâmes une culture commune qui permit par la suite beaucoup d’actions dans l’économie sociale. François Soulage et Hugues Sibille furent l’un et l’autre Délégué à l’Économie sociale. Michel Rocard fut souvent notre invité.
En 1992, je rejoignis l’Institut de Développement de l’Économie sociale dont François était le PDG. Dans ce cadre, CFDT et IDES me demandèrent de présider le groupe d’édition qui rassemblait La Découverte, Syros, l’Atelier et les éditions Alternatives. Je rencontrais Michel à plusieurs reprises, au Salon du livre où il venait comme Premier ministre et passait beaucoup de temps – trop aux yeux des officiels – sur notre stand, se souvenant que le BN du PSU avait créé les éditions Syros en 1973. Je le vis aussi alors qu’il venait de prendre le secrétariat du PS pour lui demander un livre. Je lui ai fait part de mon étonnement devant sa décision que je jugeais erronée. Il m’a simplement dit : « tu sais, il y en a un à Bruxelles » (Jacques Delors, alors président de la Commission européenne). Je lui ai dit qu’on n’était pas en 1981 où tenir l’appareil était essentiel. Là, il fallait rassembler les électeurs et il avait perdu 20 % d’opinions favorables par sa décision.
En 1996 je rejoignis le groupe Chèque-Déjeuner, avec lequel l’IDES avait créé une filiale commune, Chèque Domicile, que j’ai dirigée jusqu’à ma retraite en 2010. Georges Rino, son créateur, était un ami de Michel et un des fondateurs du PSU. J’ai aussi milité plus de 20 ans à la MACIF. Je me souviens d’une belle intervention de Michel quand il remit la légion d’honneur à Gérard Andreck. Avec beaucoup de gentillesse, il rendit hommage à François Soulage et moi-même pour notre implication et notre travail dans l’économie sociale.
Il y aura aussi, en 2010, les 50 ans de la naissance du PSU, manifestation à laquelle Michel participa pour un débat qui nous a tous rappelé d’autres débats des années post 68. Cette rencontre permit ensuite de créer l’Institut Tribune Socialiste, qui gère les archives et la mémoire du PSU, auquel Michel a participé à plusieurs reprises.
Ma dernière rencontre avec Michel eut lieu aux Rencontres du Mont Blanc, forum international de l’économie sociale. Il fut notre invité et fit une intervention éblouissante. Il fut applaudi plus de dix minutes par les participants venus de soixante pays. Lors du dîner qui suivit, il me fit de grands signes pour que je me joigne à lui, François Soulage et Patrick Peugeot. Ce fut un moment de grande chaleur humaine. Il m’a dit une chose qui m’a beaucoup frappé : « Pascal, tu sais, on ne s’est pas trompé sur grand-chose, mais on a complètement sous-estimé la cupidité des gens ». Je médite souvent sur cette phrase.
Pascal DORIVAL