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Fondation Jean Jaurès

Jean-François GRANDBASTIEN

Octobre 2024

Le parcours que je veux décrire n’était pas une évidence au départ, puisque mon environnement familial était plutôt de tendance démocrate-chrétienne, de catholiques ayant accepté la République fin du XIXe siècle, puis flirté avec un « modernisme », condamné par l’Église catholique, mais qui considéraient néanmoins la séparation de l’Église et de l’État, en 1905, comme un évènement très positif pour leur engagement dans la société.

Tout est parti de la réflexion de jeunes militants de la Jeunesse Étudiante Chrétienne, à laquelle j’appartenais, et qui étaient soucieux de leur engagement citoyen. Nous étions alors très à l’écoute des interventions de Pierre Mendès France. Il venait d’adhérer au PSU et m’apparaissait comme étant une figure morale de la vie politique. En 1963, en arrivant étudiant à Paris au secrétariat général, mes sympathies allaient au PSU de Mendès France, mais je refusais de voter François Mitterrand au second tour de l’élection 1965, ce fut ma première abstention.

C’est à partir des événements de mai 1968 que, grâce à des amis de la JEC, et ceux de l’UNEF à la Sorbonne, je participais à des réunions des Étudiants Socialistes Unifiés puis à la campagne présidentielle de Michel Rocard en 1969. Je me dois de le dire, ce fut une campagne peu active car je terminais mes études d’histoire et m’apprêtais à partir pour l’Algérie, comme coopérant militaire enseignant à l’Institut d’Études Politiques d’Alger.

J’étais peu engagé pendant ces trois années en Algérie. Néanmoins, je recevais la revue Tribune Socialiste ; ce qui me valut, au port d’Alger, un blocage de mes malles, où se trouvaient des exemplaires de la revue. Les douaniers et le responsable me faisaient savoir qu’ils ne souhaitaient pas accueillir des militants politiques…

De retour en France, et après l’agrégation d’histoire, je franchissais le pas, en adhérent pour la première fois à un parti politique en m’adressant au premier secrétaire départemental de l’époque François Borella, en lui confiant que je voulais appartenir au PSU. Curieuse idée au moment où une partie de militants allait le quitter pour le nouveau Parti Socialiste.

C’était dans la continuité de mes engagements précédents, pour un renouvellement de la vie politique autour de Michel Rocard. Je prenais contact avec le militant historique du PSU proche des amis de Michel Rocard. Bien que n’appartenant pas à ce premier cercle Algérie ou UNEF (François Borella, Marie-Claude Vayssade), je m'intégrais facilement comme représentant d’une nouvelle génération rocardienne qui allait entrer au PS à l'occasion des Assises du Socialisme en 1974. C’est à ce moment que je retrouvais certains de mes amis comme Patrick Viveret qui avait été avec moi à la JEC et à l'Institut d'Études Politiques de Paris. Je faisais en 1973 mes premières armes dans un PSU jamais autant divisé. Déjà, au moment des manifestations de 1968, je n’avais jamais eu trop d'appétence pour les différentes tendances du mouvement socialiste dont j'ignorais l'existence au sein du Parti Socialiste Unifié ; je savais que j’adhérais dans une fédération qui soutenait majoritairement Michel Rocard sur un programme autogestionnaire, la création de coopératives ouvrières en particulier. Les concours terminés, une de mes premières actions de professeur avait été en effet la vente de montres pour soutenir les travailleurs de Lip pour lesquels je savais que Michel Rocard jouait un rôle important.

Revenus des Assises, il nous avait fallu déchanter. On ne créait pas le « Parti des Travailleurs » ! Il s'agissait maintenant de nous intégrer dans la minorité du département de de Meurthe-et-Moselle au grand dam des militants du CERES qui comptaient, grâce à notre arrivée au PS, renforcer leur prédominance. Il importait pour moi de faire des propositions sur l'avènement d'un socialisme démocratique, à travers un gouvernement qui opèrerait des transformations sociales. C'est-à-dire une social-démocratie moderne s'appuyant sur les forces vives de la société. Les militants qui nous suivirent étaient souvent des militants cédétistes.

Une première étape dans la reconnaissance de notre identité, l’acte de naissance, fut à mon sens le discours par Michel Rocard sur l'existence des deux cultures au sein du mouvement socialiste (congrès de de Nantes en 1977, auquel je n'ai pu participer, victime des refus de délégation de la fédération dirigée par le CERES, séquelles d'une intégration difficile des militants venant du PSU). Mais l’acte de baptême, notre reconnaissance en tant que courant du parti socialiste devaient se concrétiser au congrès de Metz en 1979 même si, au congrès de Pau, un amendement timide nous permettait de montrer notre identité, ainsi qu’au moment de la « Convention sur l’autogestion » où nous avons pu faire voter des amendements sur le pouvoir dans les entreprises et sur la démocratie sociale.

Je venais alors d’accepter d’être le coordinateur de notre courant pour le département. J’étais en contact régulier avec les nombreux responsables de notre sensibilité à Paris, de Christian Blanc, Jean Claude Petitdemange à Gérard Lindenperg, en égrenant les nombreuses années où j'ai pu assumer des responsabilités au niveau départemental. En 1990, au congrès de Rennes, je devenais premier secrétaire avec une alliance de la motion Socialisme et République dont le leader était Daniel Reiner, nouveau député, appuyé par un autre camarade de notre courant Michel Dinet. Je devenais ensuite secrétaire de l'union régionale de Lorraine du Parti Socialiste pendant de très nombreuses années.

Être rocardien revêtait à ce moment deux aspects, l’un plus personnel, l'autre plus politique. Le plus personnel : mon engagement politique n’avait jamais été un choix de carrière, ni même un choix lié à une famille sociale ou confessionnelle, mais un choix de valeurs qui m'ont permis de travailler avec des personnes très différentes du point de vue philosophiques, et de toutes origines géographiques ou sociales. Être rocardien était un choix moral, sans être un sacerdoce. Ce qui me convenait était la démarche collective qui nous soudait, sans que Michel Rocard apparût comme un chef inspiré dont la parole exprimait la vérité et la révélait à des troupes admiratives. Ce qui m’intéressait était le caractère intellectuellement novateur, la démarche et la méthode de Michel Rocard fondée sur une morale d'action impliquant l'écoute et le dialogue. Il s’agissait de prendre au sérieux la réalité sociale et économique. Je me souviens en effet de ces longues discussions sur les questions de nationalisations et de sauvegarde de la sidérurgie en Lorraine que nous avions avec lui devant le zinc d'un café-bar de Longwy avec des sidérurgistes de la CFDT et de la CGT plutôt retors, après une réunion publique tard le soir, bien que Rocard ne se cessât jamais de nous répéter « que le sommeil était un investissement militant ». Souvenir aussi de ce débat alors que nous étions assis sur des mottes de paille d’un cultivateur rocardien dans le Toulois avec un Michel Rocard écoutant une poignée de militants agricoles.

Notre façon de voir l'action politique reposait beaucoup sur une action dont le sens critique était le moteur : dire-ce-qui-est plutôt que de flatter-celui-qui-écoute. J'ai toujours dans l'oreille cette fameuse phrase « briseuse de rêve » pour beaucoup de militants de gauche qui croyaient aux lendemains qui chantent : « j’ai mal à ma balance des paiements ». Être rocardien c’était vouloir changer la société mais sans le « Tout est possible » du discours de Marceau Pivert au moment du Front populaire. Même au moment de ma retraite de l'action politique, je n'oublierai jamais cette leçon de rocardisme, « le volontarisme est l'ennemi de la volonté ».

De mouvement d'idées, pour une nouvelle pratique politique, en reprenant le titre d’un ouvrage de Patrick Viveret et Pierre Rosanvallon, nous étions devenus un courant de pensée organisé, favorisés en cela par les statuts du parti socialiste et les congrès nationaux. La création de Convaincre 54 et l’Association des Amis de Michel Rocard avec comme président Jean-Paul Durieux, l’accueil en 1988 de Jacques Chérèque nouveau ministre de l’Aménagement du territoire et aux reconversions, nous avaient offert la possibilité d'accompagner en Lorraine le gouvernement de Michel Rocard. Certes nous n’avons pu porter Michel Rocard à la Présidence de la République. Mais nous avons pu instaurer un grand débat sur la nécessité d’un réformisme de transformation sociale, sans avoir pu changer le Parti socialiste dans ses pratiques et son rapport à la société dans ce qu'on appelait autrefois le mouvement social.

Jean-François GRANDBASTIEN

Ancien Premier secrétaire fédéral de Meurthe et Moselle (1990-1995), Conseiller régional de Lorraine (2004-2010), Maire de Frouard (2001-2020)

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