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Fondation Jean Jaurès

Catherine GUY-QUINT

Février 2021

Dès le début de ma vie militante en 1968, je suivais avec beaucoup d’intérêt les prises de position d’un jeune homme - Michel Rocard - qui se détachait avec le PSU par des analyses où les valeurs humanistes de gauche laissaient une place au réalisme économique et sociétal. En 1969, impossible de voter pour lui, je n’avais pas l’âge !

Mais pendant de nombreuses années au PSU puis au PS, mon repère était ce fameux homme jeune, le plus crédible des socialistes. Il nous expliquait l’autogestion, nous initiait à la critique des positions du Programme commun. Avec lui, c’était un perpétuel apprentissage de la réflexion politique, d’analyse de notre société sans clichés mais avec réalisme et chaleur humaine. Une belle école d’action politique ! Dans l’Auvergne mitterrandiste, nous n’étions pas trop nombreux à afficher notre attachement au cheminement rocardien !

En 1999, nous retrouver sur la même liste aux élections européennes était pour moi un évènement formidable. C’était la promesse d’un travail en équipe sur le projet qui me passionnait depuis toujours : créer une Europe politique, économique et impulser des politiques européennes de solidarité dans les 15 Etats que comptait alors l’Union. C’est lui qui m’annonça que contrairement à ce que je souhaitais, je n’avais aucun choix pour le travail en commission au Parlement. Ce serait la commission des Budgets. Comment lui refuser, même si la perspective n’était pas des plus enthousiasmantes ? Et c’est ainsi que sans le souhaiter, je commençais à travailler dans cette commission aride mais qui était déjà en grande partie en codécision, donc avec un réel pouvoir.

Et pendant nos dix années de travail commun au Parlement Européen, je ne manquais pas de traverser le couloir pour aller consulter Michel Rocard sur des points où la décision n’était pas évidente : le financement de la Charte des petites et moyennes entreprises : quelle stratégie pour faire bouger la présidence française ? Quel partenaire pour créer un dispositif pour mettre en place une aide au capital risque ? Et pour la micro finance ? Et pour soutenir les projets des régions européennes ? Pour renforcer l’aide aux petites et micro-entreprises, de façon pérenne ? Comment élargir Erasmus à toute la jeunesse européenne, puis à tous les citoyens européens ?

L’aide européenne au GAVI (Alliance mondiale des vaccins) pour faciliter la vaccination à tous les peuples ? Comment neutraliser les attaques de la Commission européenne contre la suppression des points d’information ?

Et la modernisation de la PAC... et les financements contre la pauvreté alimentaire dans nos pays européens ... Nous avons passé de longs moments à discuter à la recherche de solutions efficaces et durables pour nos projets. Et de nombreuses politiques ont ainsi été sauvées ou développées. C’était sérieux, riche d’illustrations, d’anecdotes. Mais aussi de rires. Particulièrement quand nous arrivions à déjouer les attaques britanniques contre les agriculteurs ou Strasbourg. Une parade : faire voter contre le chèque britannique à la Commission des budgets. C’était une menace efficace pour neutraliser la perfide Albion.

Et pendant ces dix années, nous voyions grandir le pessimisme européen de Michel.

Dès 1999, il exprimait clairement ses inquiétudes devant l’inadaptation des réponses des institutions européennes pour développer les politiques indispensables à l’équilibre mondial. Les travaux de la Convention ne l’avaient pas tranquillisé mais il espérait que l’adoption de ce traité clarifierait la vie politique européenne et permettrait de mieux développer un modèle politique fort pour l’avenir du continent.

Le refus des fabiusiens de valider les travaux auxquels ils avaient été associés fut pour lui une grande déception, et le résultat du référendum le poussa encore plus loin dans l’inquiétude de voir disparaitre tout le travail fait depuis 50 ans pour l’Europe. Il croyait de moins en moins à une Europe politique et ne manquait jamais une occasion de développer ses analyses. Les socialistes français craignaient ses interventions défaitistes qui nous rappelaient la difficulté de nos missions !

A la même période, nous vivions la réalité du grand élargissement. Avec l’entrée des États de l’Est, Michel Rocard retrouvait au Parlement plusieurs de ses camarades de combat, de travail de l'Internationale socialiste ou du PSE. Au sein du Parlement, son aura était renforcée mais avec sa lucidité habituelle, il constatait la complexité croissante pour faire avancer un projet accepté par tous les États. Cette réalité ne lui a cependant jamais fait douter du bien-fondé de l’entrée de la Turquie. Sur ce point j’ai toujours été en désaccord avec son analyse (ce qui était fort rare).

Un point fort nous rapprochait : le rôle et la place des Britanniques dans l’évolution européenne. Leur retrait avec le Brexit était indispensable pour que soit relancé un projet global politique, économique, social, mondial de développement. A la présidence de la Commission des affaires sociales, Michel Rocard les a toujours trouvés en travers des rapports innovants. Accrochés à leurs traditions sociales, les Britanniques usaient de tous les stratagèmes possibles pour ralentir l’avancer des directives d’harmonisation. Regardez la directive sur le temps de travail, bloquée pendant plus de dix ans au Conseil !

Et pourtant, malgré toutes les difficultés d’exercice et de réussite du mandat européen qu’il a poursuivi pendant près de quinze ans, malgré sa vision de plus en plus noire sur l’avenir et le rôle de l’Union européenne, Michel Rocard a gardé jusqu’au bout de l’enthousiasme chaque fois qu’un dossier lui était confié. Personne dans l’hémicycle, dans les commissions ou en groupe politique n’a oublié son énergie, sa compétence, son avidité pour défendre la liberté d’intervention pour les brevets européens. Et cette énergie, cette liberté de ton, cette objectivité, cette capacité à donner un sens global à toutes ses interventions étaient connues par tous au Parlement. Dans cette assemblée où les décisions sont tellement complexes (nationalité, parti, commission…), Michel était à la fois un Sage et celui qui, par sa fougue juvénile, était capable de relancer une réflexion, de relancer un débat et capable de lutter jusqu’au bout pour redonner à son combat la priorité des valeurs auxquelles il a toujours cru.

Catherine GUY-QUINT

Ancienne députée européenne (1999-2009), ancienne maire de Cournon d'Auvergne (Puy-de-Dôme)

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