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Fondation Jean Jaurès

François STASSE

Mai 2020

François Stasse, membre de la commission économique du PSU puis du PS, a été, sous le pseudonyme de Jacques Gallus, le co-auteur avec Michel Rocard du livre "L'inflation au cœur". Il nous livre ici le témoignage de ce qui l'a particulièrement marqué dans la genèse de cet ouvrage.

Il me semble que de nombreux écrits sur Michel Rocard ne soulignent pas assez la part scientifique de sa culture intellectuelle. Lui-même orientait parfois ses proches comme ses biographes sur une fausse piste en répétant à l’envi combien son choix de suivre des études « littéraires » (Sciences po puis l’Ena) avait perturbé ses relations avec son père, physicien de premier rang. De là à en déduire qu’il était étranger au mode de raisonnement scientifique, il n’y avait qu’un pas à faire…vers la mauvaise direction !

Dans cette tribune consacrée aux souvenirs personnels, je voudrais en citer deux en ce sens qui datent du milieu des années soixante-dix. Je faisais alors partie des quatre ou cinq économistes sur lesquels Michel Rocard s’appuyait le plus souvent pour nourrir sa réflexion en ce domaine et constituer ses dossiers. L’activité était intense car son étoile politique était ascendante et sa réputation de compétence en matière économique suscitait de fortes sollicitations médiatiques.

Le premier souvenir porte sur l’écriture d’un livre que Michel Rocard souhaitait écrire sur l’inflation qui, à l’époque, s’exprimait par des nombres à deux chiffres et perturbait la compétitivité de l’économie française. Il m’avait demandé de m’associer à lui pour l’écriture de cet ouvrage qui allait devenir L’Inflation au cœur (Gallimard,1975). Nous avons donc eu de nombreux échanges et j’ai été frappé par la logique scientifique par laquelle il cherchait à décortiquer les divers mécanismes de l’inflation. Ce n’est qu’une fois franchie cette étape de l’établissement rigoureux des faits que son regard se portait sur la dimension sociétale du problème en montrant combien une inflation élevée compromettait ce que, dans ces pages, nous avons appelé une croissance profonde et que l’on nommerait aujourd’hui une croissance durable.

Mon second souvenir de la même époque a trait à une expérience enseignante. Michel Rocard avait perdu en 1973 son mandat de député des Yvelines conquis en 1969 et il fallait bien trouver de nouvelles sources de revenus pour ce père de deux jeunes enfants qui s’ajoutaient aux deux aînés. Il avait obtenu un poste de professeur associé à l’Ecole nationale des Ponts et chaussées pour y dispenser le cours annuel de macro-économie. C’était une charge assez lourde et il m’avait demandé ainsi qu’à Jacques Bravo, futur maire socialiste du IXème arrondissement de Paris qui nous a récemment quittés, de l’assister dans cette tâche. Il ne s’agissait pas de tenir d’aimables propos politiques vaguement colorés d’économie. Nous étions devant un amphi composé de jeunes ingénieurs de haut niveau qui ne juraient que par des démonstrations scientifiques serrées. Je fus, à cette occasion, impressionné non seulement par le sérieux avec lequel Michel Rocard préparait ses cours mais aussi par le plaisir qu’il y prenait. Nous laissions toujours un temps, à la fin des deux heures qui nous étaient imparties, pour la discussion avec les élèves et rien ne réjouissait plus Rocard que de voir l’une ou l’un d’entre eux prendre le micro pour présenter des objections, questionner les présupposés de nos analyses, tenter une proposition alternative. L’établissement d’une vérité des faits et des arguments le mobilisait comme un chercheur devant une molécule inconnue.

Au cours des longues années suivantes qui ont été celles des responsabilités gouvernementales de la gauche, j’ai souvent pensé que la source des désaccords voire de l’exaspération de Michel Rocard à l’égard de certaines positions de sa famille politique n’était pas tant politique que scientifique. Il supportait mal l’à peu près, le flou, a fortiori l’incohérence, de certaines propositions. Il n’était au fond pas si éloigné de la culture scientifique de son père.

François STASSE

Conseiller d’État honoraire, Ancien directeur général de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris

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