MichelRocard.org

> Recherche avancée

Fondation Jean Jaurès

Jean-Luc UGUEN

Mai 2025

"Mon Rocard"

Dans « Le rocardisme, devoir d’inventaire[1] », les auteurs paraphrasant Malraux écrivent « Tout le monde est, a été ou sera un jour rocardien » tant il y a eu de « demeures dans la maison du Père » …

Alors, allons-y pour une histoire qui, pour certains, s’apparentera peut-être au blasphème…

Ma découverte de Rocard, comme pour beaucoup, s’est faite à la télévision lors de la présidentielle de 1969 : j’avais 16 ans, je ne comprenais pas tout mais ce qu’il disait et le ton qu’il employait m’intéressaient.

J’achetais donc quelques mois plus tard son ouvrage « Le PSU et l’avenir socialiste de la France[2] : je ne comprenais toujours pas tout mais cela continuait à m’intéresser…

Je décidais donc en 1971, entrant à l’Université de Bretagne Occidentale, d’adhérer au PSU. Là, première surprise, la section était très largement hostile à Michel Rocard : beaucoup avaient quitté le PSU lors de la scission de la « Gauche révolutionnaire » (GR à connotation maoïste) et ceux qui y étaient restés culpabilisaient de ne pas avoir suivi...

Néanmoins, deux nouveaux ouvrages allaient conforter mon ancrage au PSU : « Le Manifeste de Toulouse » tout d’abord, mais aussi « Le marché commun contre l’Europe[3] » qui servait de base au cours de droit européen que délivrait, à Brest, le Professeur Jean Rault. Je dois dire que jusqu’à ce jour, ces deux livres constituent la base de mon engagement.

Le premier couvrait aussi bien le champ économique que sociétal (et même les minorités nationales, ce qui ne pouvait convenir qu’à un breton), le second démontrait que vouloir une construction européenne par le biais d’un « marché commun » était nier le rôle de l’État et ne pouvait conduire qu’à un libre-échange généralisé. Je ne crois pas que cette analyse puisse être démentie à ce jour.,

Heureusement, de belles luttes permettaient de dépasser des débats quelque peu théoriques et la vente des montres de LIP ou des poulets de l’abattoir de Pédernec mobilisaient les troupes.

Cela explique qu’au moment de la présidentielle de 1974, je soutenais la candidature Piaget et refusais la démarche des « Assises du socialisme ».

La poursuite de mes études me conduisait à Paris où je rejoignais la section d’Alfortville jusqu’à ce qu’au congrès de Saint-Etienne en janvier 1979, Huguette Bouchardeau renvoie, dos à dos, les « quatre gros partis ». C’était pour moi ignorer l’affrontement fondamental Droite/Gauche et je quittais donc le PSU. Parallèlement, Michel Rocard avait acté sa rupture avec François Mitterrand au congrès de Metz.

Je fus alors contacté par un copain qui me signalait que la députée locale, Marie Jacq, cherchait un assistant sur Paris. Elle venait d’être désignée comme responsable au sein du groupe socialiste du débat sur la relecture de la loi sur l’interruption volontaire de grossesse, votée cinq ans plus tôt.

Je démarrais là une collaboration avec une députée à l’aura exceptionnelle, une des deux femmes du groupe socialiste à l’époque (avec Edwige Avice) et qui, en digne héritière de Tanguy Prigent, vota la motion Rocard au congrès de Metz (ce qui lui coûtera plus tard, à n’en pas douter, toute responsabilité ministérielle).

C’est aussi par Marie Jacq que j’accédais au 98 rue de l’Université (siège des bureaux de MR), car il n’y avait alors que 15 députés rocardiens et toutes les bonnes volontés étaient sollicitées pour prêter la main.

Après la victoire de 1981, et après avoir été titularisé comme assistant à l’Université (mieux vaut ne pas dépendre de la politique, professionnellement), j’intégrais le cabinet de Louis Le Pensec.

La défaite de 1986 me conduisait à envisager de retourner sur mon poste à l’Université, mais c’est à ce moment que Jean-Claude Petitdemange me fit la proposition d’être l’assistant de Michel Rocard à l’Assemblée nationale. Pour qui avait adhéré quinze ans plus tôt au PSU pour le suivre et qui, après cinq ans d’éloignement, l’avait à nouveau rejoint après le Congrès de Metz, cette proposition ne pouvait que me combler.

Je rencontrais alors celui que j’avais simplement croisé précédemment. Au-delà de l’Assemblée et des réseaux parlementaires à entretenir dans la perspective d’une candidature présidentielle, j’avais aussi en charge avec Jean-Claude, les tournées régionales sur deux-trois jours de Michel. J’organisais ainsi des déplacements en région Centre, Franche-Comté, Limousin, Picardie…

La simplicité de cet homme était désarmante : un authentique militant considérant l’autre comme son égal et ne cherchant pas à le convaincre autrement que par la pensée. Cela lui sera d’ailleurs, parfois, reproché que de ne pas flatter ces baronnies locales pour les enrôler.

Et sa résistance physique et mentale, trois jours au feu sans jamais rechigner : il était très fier de son cœur battant aux mêmes pulsations que Bernard Hinault, disait-il... ! Je ne l’ai jamais vu réellement s’énerver.

Quand vous aviez gagné sa confiance, il vous laissait faire : je me rappelle d’un soir à Limoges où au sortir d’un meeting, salle Jean Moulin, et après les déclarations de Jean-Marie Le Pen sur « le point de détail de l’histoire », devant les demandes pressantes de réaction de la presse, je lui proposais de faire une déclaration le lendemain depuis Oradour-sur-Glane, à 8h, avant notre retour en train. Un peu de tronche au départ, car cela réduisait encore le temps de sommeil après deux journées éreintantes, mais très vite son accord car percevant l’intérêt de la symbolique.

Lors de sa nomination à Matignon, je rejoignais le cabinet de Claude Evin, et un an plus tard, j’étais nommé à la Cour des comptes sur le « quota » rocardien.

Après les élections européennes de 1994 et la fin de l’espoir présidentiel, accaparé par mes nouvelles fonctions de maire à Cléder (29), je perdis de la proximité. Mais quelques années plus tard, je rédigeais un ouvrage sur « Le bonheur d’être maire » et le lui adressais. Quelles ne furent pas ma surprise et mon émotion, de recevoir une longue lettre de remerciement où il discutait point par point, mes positions mais me rejoignait surtout sur le fait que «le Manifeste de Toulouse est le meilleur texte que nous ayons produit » …

Un militant, dis-je, loin de la caricature de ce Rocard droitier, que certains voudraient s’accaparer. Entendre parler d’une filiation entre Rocard et Macron me met hors de moi : deux inspecteurs des finances certes, deux en disponibilité aussi, mais l’un pour voir ses émoluments divisés par quatre au secrétariat national du PSU, l’autre pour les multiplier par on ne sait combien, chez Rothschild … Fin de la blague !!!

Et pour bien blasphémer comme je l’ai promis, cette citation, page 15, de « Rocard, le rendez-vous manqué [4] » : « Michel Rocard est un penseur et un acteur politique de très haut niveau, comme le mouvement socialiste en compte peu… ». Ne vous étranglez pas en lisant l’auteur de cet hommage, en note de bas de page, et dites-vous bien que Macron et ses affidés n’auront jamais le droit aux mêmes propos de l’intéressé !!!

Jean-Luc UGUEN

Ancien maire de Cléder (29)

Jean-Luc UGUEN a notamment publié "Le bonheur d'être maire" (Editions Outre-Manche, Morlaix, 2015) et tout récemment "Le PSU et les Assises du socialisme" (Editions L'Harmattan, Paris, 2025).

(1] Alain Bergougnioux, Jean-François Merle : « Le rocardisme, devoir d’inventaire », Seuil 2018

[2] Michel Rocard : « Le PSU et l’avenir socialiste de la France », Seuil P 1969

[3] Bernard Jaumont, Daniel Lenègre, Michel Rocard : « Le marché commun contre l’Europe », Seuil P 1973

[4] Jean Luc Mélenchon « Le rendez-vous manqué » Ramsay 1994

Partager sur