Xavier GARCIA
Mai 2024
Mon parcours politique est intimement lié à Michel Rocard, même si je me suis engagé trop tard pour faire organiquement partie d’un courant rocardien. Quand j’ai adhéré au Parti socialiste en 1999, il était déjà, comme je lui ai maladroitement écrit un jour, le Montgomery Clift de la politique. Un mythe fauché en pleine ascension et dont on a pressenti tout de suite l’incapacité à ressusciter comme savaient le faire les grands carnassiers de la Vème République. Son courant avait explosé, même si l’héritage laissé de son vivant a animé sous Lionel Jospin l’un des gouvernements les plus efficacement réformistes depuis la Seconde guerre mondiale, et le temps politique accéléré par la société post-industrielle a inexorablement filé sans lui. Pourtant, il est toujours resté au fil de mon parcours une boussole autant qu’un regret.
A aussi loin que remonte ma conscience politique, la pensée et la personnalité de Michel Rocard me sont toujours apparues comme le chemin le plus sûr vers la compréhension du monde moderne. Son style oratoire un peu âpre a souvent été raillé par la paresse intellectuelle ambiante. A mes yeux, au contraire, il éclaircissait les enjeux, traçait un chemin vers les sorties de crise et à plus long terme, vers une France du XXIème siècle sortie de ses travers : la culture politique de confrontation, la confiscation du débat par les positions extrêmes, la malhonnêteté intellectuelle politicienne, le centralisme étatique comme seul horizon de gouvernance publique, l’immaturité gauchiste et sa complaisance dans la culture d’opposition… Je me souviens de ma satisfaction quand j’ai appris qu’il était devenu le Premier Ministre de François Mitterrand (j’étais en 5ème et j’étais en plein voyage scolaire dans la banlieue de Londres) et de mon désarroi quand il a subi l’échec des Européennes de 1994, son chant du cygne, alors que je votais pour la toute première fois. Je me souviens aussi de cette interview brillantissime dans les Inrockuptibles au début de l’année 1995, de ses paroles tellement lucides et brillantes et de ce titre en première page : « Rendez-vous manqué » qui résumait à lui seul la carrière de Michel Rocard et tous les regrets qui l’accompagnent encore aujourd’hui.
Près de trente ans plus tard, la médiocrité et la désinvolture du spectacle politique attisent chaque jour davantage ces regrets et la certitude qu’une France rocardienne aurait pris une toute autre trajectoire politiquement, socialement, économiquement mais plus encore culturellement. Je suis désormais en retrait de mes activités politiques et j’en suis heureux tant j’en suis affligé. Mon parcours de 1er secrétaire du PS de 2014 à 2021 dans le département le plus à droite de France, n’a pas été fructueux électoralement. Il a même été désastreux dans les dernières années. Mais j’en suis fier car j’ai le sentiment d’avoir suivi, dans une division très inférieure, les préceptes rocardiens en ne cédant pas à la facilité intellectuelle, en ne caricaturant pas l’adversaire ou le rival, en essayant de développer des programmes électoraux réalisables, inspirés par l’intérêt général et le long terme, et en ne déviant jamais de certains principes fondamentaux quel qu’en soit le coût. Ces qualités ont été reconnues, même par mes adversaires, et c’est ce qui fait qu’à mes yeux mon parcours a été une réussite même si, évidemment, ce n’est pas le cas.
Même après ma mise en retrait de la politique, Michel Rocard a continué de me suivre. J’ai écrit l’année dernière un livre intitulé "Perdants magnifiques" qui trace le portrait de dix sportifs qui sont passés à côté de la victoire qui aurait changé leur vie mais qui, pourtant, se sont accrochés à la mémoire collective. A bien des égards, c’était aussi un livre sur lui.
Xavier GARCIA
1er secrétaire du Parti socialiste des Alpes-Maritimes de 2014 à 2021, Maître de conférences associé à l’Université Côte d’Azur
Auteur de « Perdants magnifiques, l’art de s’incliner avec panache en dix portraits »