Michel de la FOURNIÈRE
Juillet-Août 2025
Il y a plusieurs générations de rocardiens ! Certains ont rencontré ou accompagné Michel Rocard au long de sa vie et de ses responsabilités. La première génération partageait son engagement : c’était celle de la guerre d’Algérie, comme l’on dit. Elle ne distinguait pas les droits humains et les droits collectifs selon l’origine, la religion ou la couleur de peau. Elle ne laissait pas faire, elle voulait la paix et la justice. Michel Rocard, jeune socialiste, en faisait partie. Ils se sont retrouvés dans l’UNEF pour en changer le cours. En 1956, les « minos » sont devenus majoritaires et Michel de la Fournière est devenu président de l’UNEF. Rocard, lui, menait la bataille en Fac de droit face à Le Pen. Depuis cette époque, leurs destins les ont réunis sur le champ politique et celui des convictions. Ils ont suivi chacun leur carrière, mais ont partagé le même engagement politique, d’abord au PSU, puis au Parti socialiste. C’est à Orléans, le fief électoral de Michel de la Fournière, que s’est tenu le conseil national du PSU qui a conduit Michel Rocard à adhérer au PS avec une forte minorité du PSU. Au Secrétariat national du PS, "de la F", comme on disait alors, a été chargé des droits de l’homme. Il était responsable du « courant rocardien » dans un esprit d’unité et de solidarité. Engagé dans la Coopération, il fut d’abord à l’ambassade d’Alger, comme conseiller culturel, puis ambassadeur de France en Haïti, « seul Etat né d’une révolte d’esclaves », disait son ami François Borella. Il y fut efficace, mais la maladie vint le frapper brutalement deux ans après sa nomination. Sa disparition en 1988 coïncide avec l’accession de Michel Rocard au poste de Premier ministre. Nul doute que si le sort eût été plus juste, leur parcours serait resté commun. C'est pour prolonger le souvenir de cette fidélité partagée que "Convictions" a souhaité que ce "parcours rocardien" posthume en rappelle l'essentiel.
Robert CHAPUIS
La fidélité en partage
Né le 6 janvier 1933 à Paris dans une famille de la bourgeoisie catholique, orphelin de père dès 17 ans en 1940, Michel de la Fournière suit ses études aux lycées Buffon et Louis-le-Grand, puis à la Sorbonne.
Militant puis responsable national de la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC), en 1953-1954, il est élu président de l'Union nationale des étudiants de France (UNEF) en 1956. Avec ses amis François Borella, Robert Chapuis et Jacques Julliard, il organise la conférence nationale étudiante pour une solution au problème algérien en juillet 1956. Agrégé d'histoire en 1959, il enseigne au Mans, puis à Rabat en tant que coopérant, où il se passionne pour « la rencontre des civilisations occidentales et musulmanes au Maroc », enfin à Orléans, professeur à l’école normale d’instituteurs du Loiret, puis en classes préparatoires littéraires au lycée Pothier.
Dès la fondation du PSU en 1960, il travaille auprès de Michel Rocard. En juin 1968, il est candidat PSU dans la 1e circonscription du Loiret avant de soutenir en avril 1969 la candidature présidentielle de Rocard. Sa candidature en 1970 aux élections cantonales dans le canton d’Orléans Sud constitue un tremplin vers la tête de liste aux municipales de mars 1971 avec pour slogan : « 14 mars, union populaire pour un Nouvel Orléans ».
Le Monde relève la surprise électorale du score inédit (plus de 15 % des voix) obtenu à Orléans lors de ces élections municipales par le PSU, allié au Groupe d’Action Municipale au sein d’une liste d’union de la gauche non-communiste, SFIO exceptée. Ce militant de la décolonisation a constitué en 1967 avec Antoine Prost, son collègue également nouvel arrivant à Orléans, un laboratoire d’idées, le GEMAO, Groupe d’études municipales de l’agglomération orléanaise, qui s’inspire du mouvement initié par le maire de Grenoble, Hubert Dubedout. Urbanistes, sociologues, enseignants, militants associatifs et syndicaux y travaillent à l’élaboration d’un projet municipal d’agglomération, démarche destinée à rendre la parole au citoyen, dépossédé de son pouvoir par la technocratie. Un journal, Orléans Tribune puis La Tribune d’Orléans, est rédigé par Régis Guyotat, Michel de la Fournière et Antoine Prost, pour élaborer un programme ambitieux et réaliste pour une équipe de gauche non communiste. La revue bimestrielle créée en 1969 se propose de renouveler la démocratie municipale au moyen de comités de quartier. Penser la ville à l’échelle de l’agglomération, agir au plus proche des citoyens, ces nouveaux Orléanais entendent révolutionner l’engagement municipal, passer du soutien à un notable à un collectif associant les « travailleurs intellectuels » de l’université renaissante aux habitants. Autre intuition porteuse d’avenir de ce groupe de réflexion et d’action locale : l’accent prioritaire mis sur le « syndicalisme du cadre de vie », sur une écologie politique du quotidien associant luttes sociales et mobilisations environnementales. Michel de la Fournière, en historien et géographe et en militant, trace la voie du développement urbain : « rendre la Loire aux habitants ». Paraphrasant Élysée Reclus et son « Paris-sur-Loire », il trace la perspective d’une reconquête du fleuve royal par la ville, de quais vidés de leurs voitures en stationnement, de rues piétonnisées, d’un réseau de pistes cyclables, d’extension des espaces verts ouverts aux habitants de chaque quartier.
Devenue La Tribune d’Orléans en 1971, la revue continue, après la chute de Secrétain, de dénoncer le saccage du patrimoine et l’enlaidissement d’opérations d’urbanisme mal conçues, suscitant la création de comités de défense. Au-delà de la cité, le GEMAO mène campagne pour l’ouverture de la Sologne et milite pour les droits des femmes et des immigrés. Si la Tribune d'Orléanssalue le vote des lois Defferre, elle alerte sur le risque d'une décentralisation confisquée par des notables cumulant les mandats pour mieux contrôler leur fief.
Michel de la Fournière est à nouveau candidat aux élections législatives de mars 1973, puis aux cantonales de septembre 1973 dans le canton de Saint Marceau-La Source, avec le soutien conjoint du PS et du PSU, puis en 1975 dans le canton d’Olivet pour le PS, après les Assises du socialisme des 12-13 octobre 1974. Tête de liste du PS aux élections municipales d’Orléans en mars 1977, Michel de la Fournière est candidat aux législatives dans la 1e circonscription d’Orléans Est en mars 1978, et le mois suivant à l’élection municipale partielle d’avril provoquée par le décès de René Thinat.
Cette expérience de réflexion urbaine innovante constitue un tremplin pour la gauche orléanaise : ses idées infusent le programme et animent un vivier qui, après le revers national de la gauche en mars 1983, prépare la victoire municipale en 1989 d’un jeune universitaire socialiste, Jean-Pierre Sueur. Les idées forces de reconquête de la Loire et d’union de la vingtaine de communes entourant Orléans se concrétisent au début du XXIe siècle, même si l’ambition de « limiter la circulation automobile aux échanges internes à l’agglomération » est encore suspendue à la requalification des mails.
Militant depuis ses années étudiantes, Michel de La Fournière participe activement à la vie du parti socialiste à partir de 1974, et à la structuration du courant rocardien, tant au sein de la Fédération socialiste du Loiret, aux congrès fédéraux et aux « fêtes de la rose », qu’aux instances dirigeantes nationales. Il participe à la rédaction d’Orléans socialiste, supplément à L’Unité, et au Bulletin de la fédération du Loiret du PS, Action socialiste. Il contribue aux congrès de Pau et de Metz de 1979, et il est l’invité de l’émission de France Inter, « Parlons clair », de Joseph Paletou, le 9 juin 1981. Il est l’un des interlocuteurs privilégiés des négociations sur l’actualisation du programme commun de gouvernement en 1977-1978, puis sur les relations avec le PCF jusqu’en 1983, en tant que membre du comité directeur de 1975 à 1984. Passionné par l’avenir du Maghreb, il rencontre le président algérien Chadli en 1979 et rédige une tribune « Pour un vrai dialogue franco-algérien », non publiée par Le Monde. Il participe aux réunions des « 66 » du groupe Pisani en 1980, au lancement de la candidature présidentielle de Michel Rocard fin 1980, puis à la campagne présidentielle de François Mitterrand.
Avec l’entrée de Michel Rocard au gouvernement à l’été 1981, Michel de la Fournière devient le responsable du courant C pour le congrès de Valence, travaille avec les correspondants du courant dans les fédérations. À ce titre, il donne une interview au Matin de Paris le 30 septembre 1981. Il est nommé secrétaire national du PS aux droits de l’Homme et aux libertés et le demeure jusqu’en 1984, mais à cause d’une polémique avec Pierre Joxe, son texte n’est pas édité par le PS, dans le sillage du colloque « Droits de l’homme et éducation », fin novembre 1982, au Palais Bourbon, avec Alain Savary, suite au rapport de Louis Legrand sur l’enseignement de la morale à l’école.
Conseiller technique de Jean-Pierre Cot au ministère de la coopération et du développement, Michel de la Fournière remet un rapport sur la situation de la coopération française en matière de santé dans les pays africains et un à Jack Lang et à Claude Allègre en matière de restitution des archives d’Aix-en-Provence à l’Algérie, et un rapport à Alain Savary, ministre de l’Éducation nationale, sur l’avenir des écoles normales d’instituteurs. Michel de la Fournière est conseiller culturel et de coopération scientifique et technique à Alger de septembre 1984 à avril 1986, au moment du 30e anniversaire de la Toussaint 1954, avant d’être nommé ambassadeur de France en Haïti le 5 mai 1986.
Dans le cadre du Bicentenaire de la Révolution française, Michel de la Fournière correspond avec la mission présidée par Jean-Noël Jeanneney, à propos de la commémoration de la Révolution française à Haïti. Il y écrit sur l’histoire du bâtiment qui héberge l’Ambassade, sur l’histoire d’Haïti et Alexandre Dumas, renouant avec son travail de recherche universitaire de DES consacré en 1953 au Problème de la main d’œuvre à la Guadeloupe de 1848 à 1870. Il laisse inachevé un projet de livre consacré à Mai 68 et à ses suites : la crise de l’université.
Pierre ALLORANT,
président du Comité d'histoire politique et parlementaire, doyen de la faculté de droit, d'économie et de gestion d'Orléans