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Rocard et « la verte »

Le romancier et essayiste Sébastien Lapaque, qui se présente lui-même comme "un traditionnaliste révolutionnaire", a publié dans "La Revue du Vin de France" du mois de mai une chronique que nous ne résistons pas au plaisir de vous faire découvrir ici.

« Un Rocard, sinon rien

Qui se souvient de Michel Rocard ? Le théoricien de la “deuxième gauche”, décentralisatrice, syndicaliste, antitotalitaire, avait des réveils lumineux et surprenants. « Il faut faire attention avec le vin, car c’est le seul produit auquel les hommes ont donné un dieu, Bacchus », prévenait-il ainsi un cancre modernisateur pressé de faire rentrer dans le rang les vignerons catalans à l’époque où il était le ministre de l’Agriculture du gouvernement Mauroy. Homme de la ville, né à Courbevoie en 1930, ce protestant s’est très tôt intéressé au "Théâtre d’agriculture et mesnage des champs" chers à son coreligionnaire Olivier de Serres. Il possédait une bonne connaissance du Midi viticole. Conservant le souvenir de l’insurrection du Languedoc en 1907, il savait par cœur le refrain de Gloire au 17e, la chanson célébrant les soldats mutinés à Béziers pour soutenir les vignerons.

« N’oublions jamais cela : le vin, ce n’est pas un produit. C’est une civilisation », répétait-il au moment de la crise déclenchée en 1984 par l’introduction en masse de vins espagnols sur le marché français, avant même l’élargissement de la Communauté économique européenne (CEE). Il a permis à la viticulture méridionale d’en sortir provisoirement en stoppant la spéculation à la baisse par le moyen d’une directive rendant obligatoire la distillation des excédents dans toute la zone. Précisément renseigné sur les rapports de force au sein du monde européen de la vigne et du vin, Michel Rocard a compris la nécessité de bloquer les rendements aux alentours de 90 hl/ha au moment où certaines régions productrices, en Italie notamment, s’envolaient vers les 200 hl/ha.

C’était il y a quarante ans. C’était encore trop de production, mais ce n’était pas si mal vu. La qualité plutôt que l’épuisante quantité. Michel Rocard a conservé son flair en matière de distillation. Une carte-réclame de la distillerie bretonne Awen Nature, établie à La Bouëxière, à 20 kilomètres au nord-est de Rennes, me rappelle que c’est en partie grâce à lui qu’a été levée l’interdiction de l’absinthe, votée en France en 1915. Il était Premier ministre quand il a permis la présence dans l’alcool (entre 60 et 75°) de thuyone, une molécule de la grande absinthe contre-indiquée chez les poètes mélancoliques et les peintres dépressifs… Convulsivante, la thuyone rendait fou consommée à haute dose.

Depuis une signature historique datant du 2 novembre 1988, l’absinthe est autorisée avec un taux de thuyone inférieur à 35 mg/l. Et l’eau-de-vie de plantes (petite et grande absinthes, anis vert, fenouil, mélisse, hysope, menthe, angélique, marjolaine…) des artistes, la fée verte de Baudelaire, Rimbaud et Verlaine, est réapparue. Le nez envoûté par le charme parfumé de l’Absinthe Rouge de la distillerie Awen Nature, je m’en suis souvenu, goutte-à-goutte, en rêvant à Michel Rocard, sans savoir quelle plante au nom inconnu donnait des reflets rubis à mon verre. C’est comme ça et pas autrement, dans un songe anisé, que m’est chère la mémoire de l’apôtre un peu oublié de l’alternative autogestionnaire.

Sébastien LAPAQUE »

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