Michel Rocard et la cause palestinienne
Analyse de Thomas Maineult
Michel Rocard et la cause palestinienne
Thomas Maineult, docteur en histoire, Sciences Po Paris
L’engagement de Michel Rocard pour les Palestiniens s’inscrit dans l’histoire de la deuxième gauche en France. Héritage des luttes anticoloniales, la défense du peuple palestinien et de son droit à disposer d’un Etat a mobilisé un grand nombre de militants du Parti Socialiste unifié (PSU) ainsi que son leader à partir de la guerre des Six Jours en 1967. C’est en effet à partir de cette date que le sort des Palestiniens mobilise les médias et l’opinion publique française. Pour toute une génération qui a fait ses armes dans le militantisme contre la guerre d’Algérie, la cause palestinienne apparaît comme une continuation dans la défense d’un peuple opprimé. Michel Rocard s’inscrit dans ce sillage et s’oppose ainsi aux positions très en faveur d’Israël des socialistes français.
Alors que ces derniers continuent à soutenir leur allié travailliste israélien, le PSU prend ses distances avec son interlocuteur israélien, le MAPAM, à cause de la guerre menée par Israël et des occupations qui s’ensuivent. Accompagné de Marc Heurgon, Michel Rocard décide que les relations doivent être rompues avec le parti israélien. La cause palestinienne trouve des soutiens parmi des figures éminentes du PSU et provoque aussi des débats assez vifs au sein du parti. C’est le cas entre Jean-Marie Vincent et Manuel Bridier dans les colonnes de Tribune socialiste au début de l’année 1969. Ce dernier défend l’idée d’un partage des territoires avant même qu’une Palestine unitaire et socialiste puisse émerger, grâce à l’aide des puissances étrangères. Ces arguments sont réfutés par Jean-Marie Vincent qui s’inscrit dans la ligne du parti réaffirmée au congrès de Dijon en mars de la même année : rejet de toute intervention de puissances étrangères susceptibles d’empêcher l’avènement du socialisme au Moyen-Orient. C’est notamment à l’occasion du congrès de Dijon qu’une délégation du Fatah de Yasser Arafat est invitée. Cependant, le parti cherche à tisser des liens avec les autres organisations palestiniennes davantage marquées par le marxisme. Influencées par les courants gauchistes au sein du PSU, des relations sont ainsi nouées avec le FPLP de Georges Habache et le FDLP de Nayef Hawatmeh[1].
La fin des années 1960 et le début des années 1970 voient l’approfondissement des relations entre Michel Rocard et les Palestiniens. C’est le cas avec l’arrivée en France à partir de 1969 d’un premier représentant de l’OLP, Mahmoud Hamchari. Alors que l’OLP devra attendre 1975 pour qu’un bureau de liaison officiel voit le jour à Paris, Mahmoud Hamchari tisse des liens avec les différentes organisations politiques de gauche en France. Le PSU et son dirigeant font partie de ces précieux contacts pour les Palestiniens. Cette présence palestinienne en France permet à Michel Rocard de mieux connaître le dossier palestinien et de renforcer les liens entre son parti et l’organisation palestinienne. Les liens d’amitié et de solidarité qui existent entre les Palestiniens et les acteurs de la deuxième gauche sont marquées par des moments tragiques. En effet, après la mort des athlètes israéliens pendant les Jeux olympiques de Munich en septembre 1972, le Mossad décide de l’élimination des représentants de l’OLP en Europe. Mahmoud Hamchari est ainsi victime d’un attentat à la bombe qui provoque son décès en janvier 1973. Les rares images qui nous sont parvenues des obsèques d’Hamchari confirment la présence de Michel Rocard aux côtés de quelques militants, alors peu nombreux, venus rendre hommage au représentant palestinien. Le leader du PSU est une des seules personnalités politiques d’envergure qui a montré son attachement à Hamchari et aux Palestiniens.
Alors que le PSU, influencé par ses composantes les plus à gauche, est en pointe au sujet de la défense des peuples opprimés et des causes tiers-mondistes au début des années 1970, l’entrée de Michel Rocard et de siens au Parti socialiste à l’occasion des Assises du socialisme de 1974 change la donne. En effet, au sein du PS, Michel Rocard et les rocardiens n’interviennent que très peu sur la question palestinienne. A l’exception de quelques articles parus dans la revue Faire, le courant rocardien se focalise avant tout sur les questions économiques et sociales et sur les questions de politique intérieure. Il faut noter cependant la présence de Michel Rocard aux côtés du Premier secrétaire François Mitterrand lors de son voyage au Proche-Orient en 1976. Si la voix de Michel Rocard et des rocardiens semble amoindrie au sujet de la Palestine, c’est aussi parce que le PS dispose déjà d’un courant enclin à soutenir le tiers-monde et les peuples en lutte[2]. Le CERES de Jean-Pierre Chevènement a ainsi très tôt développé un discours très à gauche sur le soutien à apporter aux Palestiniens, ce qui rompt avec les liens d’amitié traditionnels entre le PS et le parti travailliste israélien (MAPAÏ). La logique pro-israélienne du PS tend à se modifier sous l’impulsion de ce courant au cours des années 1970. En témoigne l’effacement progressif de Robert Pontillon, connu pour ses sympathies envers Israël, au profit de Lionel Jospin, plus favorable aux Arabes et aux Palestiniens, à la tête du secrétariat national aux relations internationales du PS.
Michel Rocard a ainsi accompagné tout au long de sa carrière les Palestiniens dans leur lutte et pour la reconnaissance de leurs droits, et ce jusqu’aux plus hautes responsabilités politiques puisqu’il accueillit en personne Yasser Arafat à Matignon lors de la visite de ce dernier en mai 1989.
[1] Bernard Ravenel, « Palestine, l’héritage oublié de Michel Rocard », Confluences Méditerranée, numéro 98, automne 2016, p. 204.
[2] Jean-Pierre Filiu, « Michel Rocard, François Mitterrand et la Palestine », Le Monde, 3 juillet 2016.