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Les liens entre la CFDT et Michel Rocard : quelles perceptions au sein du syndicat ? 1/3

Une étude de Claude Roccati

S’il n’est jamais simple de traiter des relations du syndicat au politique, bien qu’elles intriguent et suscitent régulièrement de nombreux commentaires, il est encore moins de le faire en recherchant le point de vue des militants syndicalistes qui ne se résume pas aux témoignages de quelques responsables. Peu d’enquêtes, qui bien souvent se limitent à leur comportement électoral, ont été menées, les militants sont rarement sondés sur leurs opinions politiques, et leur avis s’exprime avant tout dans le cadre de leur structure, aux assemblées de syndicats et aux congrès de leurs organisations. Finalement ce sont surtout les moments de controverses qui, en suscitant des réactions, y compris spontanées, donnent à voir leurs positions. Il est vrai que le rapport au politique dans les syndicats amène la plus grande des réserves. Rarement les rencontres entre délégations, même officielles, donnent lieu à des comptes-rendus dans la presse. Les bouleversements de la vie politique sont évidemment soigneusement décortiqués en interne – c’est notamment le rôle de la commission politique – mais les réactions officielles qui en émanent sont le plus souvent mesurées et encore plus rarement personnalisées. Seules les campagnes électorales peuvent produire durant les années 1960-1970 des prises de position marquées, mais cette période a été exceptionnelle – depuis 1986, la CFDT s’interdit toute consigne électorale qui ne soit pas un appel à battre l’extrême-droite.

Et pourtant, la proximité de la centrale avec le Parti socialiste unifié (puis avec le Parti socialiste) ne fait guère de doutes ; elle apparaît même comme une évidence, participant à la conception ce qui a été appelé la « deuxième gauche »[1], incarnée par le tandem Edmond Maire et Michel Rocard. La proximité entre les deux hommes est bien connue[2] et l’hommage du premier aux obsèques du second en 2016 en est le dernier témoignage. Notons toutefois que la caricature qui accompagne la parution en poche de l’ouvrage d’Hamon et Rotman, signée Plantu, montre un Maire s’appuyant sur le cadre non de Rocard, mais de Mendès France, la véritable figure tutélaire de ce courant au début des années 1980… Ainsi dans l’interview qu’Edmond Maire donne à la rédaction de Syndicalisme hebdo (la publication hebdomadaire de la CFDT) à la rentrée 1971[3], quelques semaines à peine après être devenu le nouveau secrétaire général de l’organisation et quelques semaines aussi après Epinay, il doit répondre à des questions sur les liens de celle-ci avec le Parti socialiste, devançant les représentations qui au binôme PC-CGT souhaitent opposer celui PS-CFDT. Par ailleurs, dans ses réponses, le secrétaire général note des convergences entre les positions de l’organisation et celles du parti, s’en félicite mais évoque aussi celles « avec les autres formations de gauche », dont notamment alors le PSU.

Ce rapprochement est à l’époque nourri par plusieurs éléments. Ce sont d’une part le nombre d’adhésions communes à la CFTC-CFDT (parce que cela prend forme dès le début des années soixante) et au PSU. S’il est impossible de donner une comptabilité précise de ce phénomène, en l’absence d’enquête approfondie sur les adhésions politiques au sein des organisations syndicales, des enquêtes biographiques nous permettent de repérer un certain nombre de responsables syndicaux adhérents du parti (citons entre autres Edmond Maire, Marcel Gonin, Jean-Marie Kieken, Jacques Moreau, Pierre Hureau, Fredo Krumnow, Pierre Héritier, Hubert Lesire-Ogrel…). Ces adhésions s’expliquent par la culture politique diffusée par Reconstruction, matrice intellectuelle de la CFDT des années 1960-1970, qu’Edmond Maire a longtemps personnifiée. Selon ses membres, l’engagement syndical ne peut se concevoir sans engagement politique en parallèle, tant leurs actions sont complémentaires[4]. L’action syndicale au-delà de se nourrir d’un intérêt pour le politique, est envisagée en fonction d’une « vue d’ensemble » et en pensant les conséquences des revendications dans le cadre économique et social. Développant une vision politique, l’adhésion à un parti devient alors « naturelle ». C’est pourquoi d’ailleurs dans l’interview déjà citée, Edmond Maire évoque, pour le regretter, la politisation encore trop limitée au sein de la classe ouvrière et la faiblesse de l’engagement militant en politique, ce qu’il impute aux carences des partis. D’autre part, les deux organisations se retrouvent à participer ensemble à un certain nombre d’initiatives qui se sont multipliées au cours des années soixante depuis les mobilisations contre la guerre d’Algérie aux colloques sur la planification ou le socialisme (rencontre de Grenoble en 1966) jusqu’à la lutte contre la guerre au Vietnam. Alors certains membres de la CFDT développent la théorie d’une « stratégie commune » entre forces syndicales et forces politiques, qui conduit par exemple Edmond Maire dire à la tribune du congrès confédéral, en 1967 qu’à un moment « pour aboutir, il faudra bien faire coïncider la poussée syndicale et le pouvoir politique »[5]. 1968 accentue ensuite les possibilités de convergence, les événements ayant démontré le potentiel révolutionnaire du mouvement ouvrier conduisant à pener que ce sont les luttes dans les entreprises qui amèneront à un renversement du régime. C’est dans les années qui suivent que les contacts entre la CFDT et le PSU s’intensifient, y compris sous forme de délégations officielles sur fond de rapprochement des positions, du congrès de Dijon à l’adoption du Manifeste autogestionnaire.

1] Hervé Hamon, Patrick Rotman, La deuxième gauche. Histoire intellectuelle et politique de la CFDT, Point Seuil, 1984.

[2] Sur ce point, nous renvoyons à la biographie de Jean-Michel Helvig, Edmond Maire. Une histoire de la CFDT, Seuil, 2013.

[3] N°1357, 2 septembre 1971, p. 4-5.

[4]Voir par exemple Jacques Rochelle « Syndicalisme et politique », Reconstruction, 15 mai 1955, p. 10-15.

[5] Syndicalisme hebdo, n°1162, 16 novembre 1967.

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