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Les liens entre la CFDT et Michel Rocard : quelles perceptions au sein du syndicat ? 2/3

Une étude de Claude Roccati

Michel Rocard, Edmond Maire et Jean-Paul Jacquier, un des artisans du "recentrage syndical"
Michel Rocard, Edmond Maire et Jean-Paul Jacquier, un des artisans du "recentrage syndical"

L’affirmation du PSU cependant réveille les sensibilités de syndicalistes jaloux de leur indépendance et soucieux de défendre leur pré-carré. En témoigne André Jeanson, en passe de quitter la tête du secteur politique de la CFDT, dans une lettre qu’il adresse à Michel Rocard le 2 juin 1969 en remerciement d’un livre reçu, l’occasion pour lui de faire quelques commentaires sur la campagne présidentielle qui vient à peine de s’achever. Il y écrit : « plus que jamais aujourd’hui, où il apparaît évident que c’est autour du PSU que demeurent les seules chances d’un renouveau du socialisme démocratique » « les perspectives que tu traces doivent nous devenir communes, personnellement bien sûr mais collectivement aussi », pour regretter plu loin que « dans ce domaine malheureusement, je ne suis pas sûr que la CFDT soit apte à jouer le rôle qui devrait être le sien »[1]. Sans aucun doute celui qui incarne le mieux ce positionnement au sein de la CFDT est Marcel Gonin : encarté au PSU dès 1960, il était chargé des contacts entre le syndicat, le parti et les milieux intellectuels. Mais lorsqu’après la rencontre socialiste de Grenoble, Rocard propose à un certain nombre de participants de « réfléchir de manière relativement régulière pour donner une orientation commune aux stratégies qui se mènent au PSU […] dans le mouvement syndical, bref d’évaluer en commun, les problèmes qui se posent à la Gauche nouvelle, pour voir comment chacune des organisations qui s’en recommandent, peut adopter des solutions concrètes répondant à ces problèmes », Gonin y répond sèchement : « j’ai toujours trouvé normal que des militants se rencontrent pour échanger leurs points de vue sur les problèmes posés au mouvement ouvrier, mais transformer cela en une opération de noyautage n’est pas acceptable »[2].

En 1971 le débat se fait plus vif. Jusqu’alors les controverses s’exprimaient dans des correspondances entre individus destinées à demeurer privées (comme c’est le cas entre Gonin et Rocard). C’est aussi par ce biais qu’Edmond Maire avait annoncé son départ du PSU après plusieurs disputes, notamment en 1969 lorsqu’il avait réagi à une proposition de Rocard de réunir les « responsables CFDT adhérents au PSU » qu’il avait refusé au nom de sa conception du syndicat où l’adhésion politique est « indistincte »[3]. Edmond Maire était certes un défenseur de la « stratégie commune » (après 1968, il préfère parler de « convergences ») mais si les confrontations entre responsables et entre organisations sont encouragées, chacun doit être laissé libre de déterminer sa stratégie, sans subordination évidemment, mais aussi par respect de l’unité du syndicat dans lequel plusieurs sensibilités politiques peuvent cohabiter. Edmond Maire quittera finalement le parti en février 1971 par une lettre adressée au responsable de sa section qui lui avait reproché de ne pas être investi localement[4].

Au moment de ce départ (mais sans y être liée), la confrontation se fait davantage publique. À l’origine, un colloque de la gauche européenne, organisé par l’ACPOL et Objectif 72 en novembre 1970 avait réuni un ensemble de personnalités politiques, intellectuelles et syndicales venues de plusieurs pays européens dont des membres de la CFDT et du PSU. À cette occasion, Michel Rocard avait établi une note sur les relations entre syndicats et partis qui avait été ensuite adressée à la CFDT. Examinée par sa commission politique confédérale, elle donne lieu à une réponse sous forme de lettre puis à une rencontre entre deux délégations, afin d’éclaircir certains points. La réunion est cordiale, on débat de « différence de vocabulaire » entre syndicalistes et politiques, d’interprétations divergentes surtout quand la note de Rocard qualifie le syndicat d’exécutant et semble remettre en cause sa capacité délibérative au profit d’assemblées de délégués (nous sommes en Italie en plein développement des « conseils d’usine »). À la différence cependant des précédentes controverses, celle-ci est relatée dans la circulaire de la confédération, Nouvelles CFDT, à laquelle ont accès les responsables du syndicats (secrétaire de syndicat, d’union départementale, d’union régionale, de fédération et membres des instances nationales), signe que les discussions courent dans l’organisation et que la réaction officielle de la CFDT doit être davantage publicisée[5]. Il ne s’agit pas de remettre en cause des relations importantes à un moment où cette recherche de convergences entre le syndicat et le parti considéré comme le plus proche demeure un objectif[6]. Mais les tensions s’accumulent, notamment à partir des tentatives d’organiser des sections de parti en entreprise et le risque de voir se constituer des factions politiques.

[1] Correspondance d’André Jeanson à la tête du secteur politique pour l’année1969 conservée aux archives confédérales de la CFDT(AC) (boîte CH/7/293).

[2] Lettre de Michel Rocard, 2 septembre 1967 et réponse de Marcel Gonin le 4 octobre 1967 conservées dans les archives personnelles de Marcel Gonin déposées à la CFDT (AC CP/25/15).

[3] Lettre d’Edmond Maire à Michel Rocard, 2 septembre 1969 (AC CP/15/113).

[4] Jean-Michel Helvig, op. cit., p. 93-94.

5] « Rencontre avec le PSU du 29 mars 1971 », annexe à Nouvelles CFDT, n°10/71 (AC CH/8/1573).

[6] En témoigne également le Rapport introductif sur la situation politique présenté au Conseil national de janvier 1972 qui encourage la « réhabilitation » du politique « dans les milieux syndicaux » (AC CH/8/1573).

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