Les liens entre la CFDT et Michel Rocard : quelles perceptions au sein du syndicat ? 3/3
Une étude de Claude Roccati
Le moment des Assises fait basculer la CFDT. La participation de la confédération à l’opération – c’est-à-dire d’abord le soutien de son Bureau national à l’appel de François Mitterrand à construire « la grande force socialiste » puis la signature par environ un tiers de ses membres de l’Appel a suscité de nombreuses critiques dans l’organisation obligeant la commission exécutive à s’expliquer à diverses occasions[1]. Au début de l’été 1974, durant plusieurs semaines, les « colonnes ouvertes » de l’hebdomadaire de la confédération continuent de publier des tribunes d’organisations et le débat se prolonge jusqu’à l’automne au Conseil national où certaines de ces organisations ont souhaité présenter une motion[2]. L’ensemble pourrait être perçu comme les manifestations des diverses oppositions syndicales à la majorité confédérale (d’orientation diverses d’ailleurs), mais en réalité le nombre de courriers reçus de la part de militants au siège de la confédération traduit un malaise diffus dans la centrale[3]. Les critiques sont de divers ordre. Il y a la façon de procéder : l’interview d’Edmond Maire au Nouvel Observateurqui évoque les conciliabules préalables, les discussions entre responsables, avant la campagne présidentielle, pouvant laisser croire à une opération préparée dans les officines des organisations n’est guère acceptée. Ensuite le fait même de participer à une manœuvre de parti, même sous forme contribution individuelle mais avec l’encouragement de ses instances, suscite l’incompréhension. Le sentiment des militants est d’avoir été les instruments d’une manœuvre politique pour permettre la conquête du parti par Rocard et dans laquelle ils auraient été la « corbeille de la mariée », selon la formule d’Albert Détraz, alors responsable du secteur politique de la confédération[4]. Celui-ci a affirmé par la suite que cette participation CFDT avait été l’occasion de « régler » le « problème Rocard » : selon lui, du fait de la faiblesse militante du PSU, la CFDT servait de véhicule aux idées que Rocard ne pouvait promouvoir réellement et faisait d’elle un « parti-syndicat ». Pour renforcer son autonomie et réaffirmer son rôle syndical, il fallait selon lui permettre au leader socialiste d’intégrer un « vrai parti », c’est la raison pour laquelle lui avait accepté d’y participer[5]. Ces déclarations, faites a posteriori, associées par ailleurs à l’aveu d’« une grosse bévue » commise à l’époque, servent surtout à justifier son action mais elles disent néanmoins l’importance de la figure de Rocard au sein de l’organisation et le tournant qu’a constitué cet épisode dans l’histoire de la CFDT et du socialisme.
L’année suivante, en effet la confédération produit un nouveau texte précisant ses liens avec les partis, réaffirmant son indépendance et la distinction de fonctions entre les organisations[6]. Trois ans plus tard le recentrage ne viendra que confirmer cette prise de distance par rapport au politique. Il n’y aura plus alors de liaison marquée, de type organisationnel. Lorsque Michel Rocard sera nommé Premier ministre, la CFDT n’offrira pas de salutation spécifique et maintiendra ensuite ses distances, malgré une pratique du dialogue social et des choix politiques plutôt en accord, n’hésitant pas à souligner à diverses reprises les limites de l’action gouvernementale vis-à-vis des salariés[7].
Claude ROCCATI
Docteure et enseignante en histoire, chercheuse associée au CHS-Mondes contemporains.
[1] Voir par exemple Hubert Lesire-Ogrel (membre de la Commission exécutive), « La CFDT et la restructuration de la gauche socialiste », Syndicalisme hebdo, n°1499, 6 juin 1974, p. 5, dans lequel il dit que la CFDT ne saurait rester « ni neutre, ni muette ».
[2] Motion présentée par les Fédérations Banque, Construction-Bois et Hacuitex et l’URI de Basse-Normandie rejetée par 918 voix (contre 381 pour 201 abstentions). Voir Pierre Cours-Salies, La CFDT. Un passé porteur d’avenir, La Brèche, 1988, p. 235.
[3] François Kraus, Les Assises du socialisme ou l’échec d’une tentative de rénovation d’un parti, Notes de la Fondation Jean Jaurès, n°31, juillet 2002, p. 61-63.
[4] Entretien avec Louisette Battais et Pierre Autexier, 2 février 1988, bande n°7, conservé aux archives de la CFDT.
[5] Entretien avec Pierre Cours-Salies, op. cit., p. 234.
[6] Rapport au Conseil national d’avril 1975 publié dans Positions et orientations de la CFDT, Montholon-Service, 1978, p. 218-219
[7] Voir Guy Groux et Michel Noblecourt « Michel Rocard et les syndicats ou la recherche d’un nouveau dialogue social », in Alain Bergougnioux, Mathieu Fulla (dir.), Michel Rocard Premier ministre. La deuxième gauche et le pouvoir (1988-1991), Presses de Sciences Po, 2020, p. 240.