Michel Rocard et les chansons
Les relations entre Michel Rocard et les chanteurs et compositeurs
Michel Rocard et les chansons ? Quelle drôle d’idée.
En effet, si Michel Rocard avait plusieurs passions, outre la politique comme la voile ou plus tard le planeur, la musique n’en faisait pas vraiment partie.
Loïc Rocard, lui-même féru de musique, nous dit avoir un seul souvenir de concert avec ses parents, Montand à l’Olympia en 1981, moment plutôt politique. Sa dernière épouse, Sylvie Rocard, elle aussi amie du 4ème art raconte dans son livre C’était Michel avoir été désespérée par le manque de culture musicale de son mari, à l’exception des œuvres de Bach et d’un peu de chanson française. Quant à Jean-Paul Huchon il se souvient de concerts de rock, Noir Désir et même de punk avec Les béruriers noirs où le maire de Conflans s’est rendu en costume-cravate, détonnant avec l’ambiance. Alors total contresens ?
Pour cette newsletter estivale nous souhaitions prendre plutôt l’environnement musical qui a pu entourer Michel Rocard comme le moyen de restituer une époque et ses valeurs faites de combat social, de volonté de transformer la société, de l’humaniser.
Loïc indique que Michel Rocard chantait assez bien, héritage possible de ses années scout. Les chansons sont un moment clé des soirées de camp. À ses enfants il pouvait lui arriver de les faire rire avant de dormir avec le général Castañetas, version des frères Jacques. Peut-être que le dirigeant du PSU aimait à se moquer de ce « plus grand général du Mexique », mort à la première occasion où ses talents pouvaient être utilisés. Etait-ce aussi un pied de nez au retour au pouvoir du général de Gaulle qui avait poussé cette branche des socialistes déjà opposée à la politique algérienne de Guy Mollet à quitter définitivement la SFIO pour fonder le PSA ?
Si dans les années 70-80 il écoutait du Brassens en famille sur la route du Morbihan, c’est plutôt à sa deuxième épouse qu’il en devait la fréquentation, dans cette époque marquée par l’omniprésence d’une chanson à texte triomphante avec le poète de Sète, mais aussi Brel et Barbara. Il appréciait d’ailleurs chez Brassens sa chanson Mourir pour des idées, se moquant gentiment de tous les fanatiques politiques et montrant une réserve pleine d’ironie à l’égard des certitudes trop bien établies. On y retrouve en tout cas nettement le dirigeant du PSU qui a tenté de calmer les foules au moment du fol mois de mai 68. Pourtant, les idées, Michel Rocard n’a jamais cessé de se battre pour elle. Ainsi de son soutien à Nelson Mandela et à la cause de l’apartheid en Afrique du Sud. C’est pour cela que lorsque Anne Sinclair et Pierre-Luc Séguillon lui demandent de choisir une musique pour clôturer l’émission, il choisit Asimbonanga de Jimmy Clegg, chanson hommage au leader de l’ANC. En 1990, alors que le chanteur sud-africain triomphe aux Victoires de la musique, c’est Michel Rocard qui lui remet son trophée.
Michel Rocard a aussi eu l’occasion de rencontrer le chanteur d’Hexagone, Renaud à l’apogée de sa carrière dans les années 1980, venu dîner boulevard Raspail. Ils ont peut-être discuté de Miss Maggy pour laquelle ils partageaient la même sympathie…
Le Premier ministre a tout cas influencé la chanson en stimulant la poésie de Pierre Perret qui a consacré une amusante La réforme de l’orthographe en 1992. Ce dernier avait d’ailleurs été un membre éminent et détonnant du comité de la langue française mis en place par le Premier ministre pour la réforme de 1990.
Leurs liens sont au fil du temps devenus plus amicaux. Ainsi, alors que France 2 consacre une émission C’est votre vie, animée par Frédéric Mitterrand, au chanteur de Lily en 1993, Michel Rocard lui adresse un témoignage de sympathie à celui qu’il appelle « Pierrot ».
« C’est rare de se faire des amis après 50 ans, mais tu as une telle chaleur, une telle amitié que nous sommes devenus des amis ».
En outre, si Michel Rocard s’intéressait peu à la musique, le fait est qu’il a côtoyé beaucoup de chanteurs, qui ont parfois participé à ses campagnes électorales. Plus que des musiciens, c’était les hommes pour lesquels il éprouvait de la sympathie et aimait discuter. Ainsi du réseau corse qu’il côtoyait lors de ses voyages dans la terre de sa dernière épouse, à l’image de Michel Fugain que nous avions interviewé il y a deux ans, ou de Jacques Dutronc. Avec ce dernier il partageait des soirées arrosées de whisky en fumant de gros cigares.
Pour rajeunir son image et obtenir le soutien de la jeunesse il s’est aussi rapproché de jeunes chanteurs qui appréciaient ses idées comme Jean-Jacques Goldman avec lequel il a d’ailleurs dialogué dans Le Nouvel Observateur en février 1988. Par la suite il nourrira aussi une sympathie réciproque avec Patrick Bruel.
S’il ne l’a pas rencontré à notre connaissance, Michel Rocard était aussi apprécié du chanteur de Taxi Girl, protestant lui aussi, Daniel Darc comme il le confiait pour Rue 89.
C’est sans doute ce qui l’a conduit à assister à des concerts de rock dans sa ville de Conflans comme nous le signalions plus haut avec notamment Bérurier Noir. Mais outre le pied de nez à son prédécesseur maire de Conflans, Bérurier, l’auteur de l’appel Châtenay-Malabry a sans doute dû apprécier le titre Porcherie hurlant que « La jeunesse emmerde le Front National ». La chanson est d’ailleurs sortie juste après la démission du ministre de l’Agriculture pour s’opposer à l’adoption de la proportionnelle qui ne pouvait que favoriser le FN (1985).
Se rapprocher de la jeunesse par ses chanteurs favoris, c’est aussi faire passer des messages aux plus jeunes générations. En 2011, il a ainsi participé à l’album N’importe où hors du monde du groupe de rock Weepers circus en offrant un texte sur ses voyages dans l’Antarctique et l’Arctique.