Michel Rocard et la sécurité routière
Jean-François Merle, Janvier 2019
Dès le début de son mandat, Michel Rocard décide de se saisir à bras le corps de la question de la sécurité routière, à une époque où la route fait encore plus de 10.500 morts par an et plus de 750.000 blessés. Le 2 septembre 1988, à Vitrolles, devant les clubs des jeunes rocardiens « Forum », il s’en explique : « Tenir les deux bouts de la chaine, cela veut dire que lutter contre la criminalité routière, celle qui fait 11.000 morts par an et (…) 80.000 grands accidentés et paralysés pour le restant de leurs jours, sous l’empire de l’alcool, de la vitesse ou de l’inconscience, ce n’est pas seulement avoir une action immédiate pour sauver des vies humaines, pour prévenir des accidents qui font tant de handicapés à vie, c’est aussi agir sur le long terme pour améliorer l’équilibre de notre système de protection sociale. »
En octobre 1988, un premier comité interministériel de la sécurité routière a décidé des mesures d’urgence : 100 millions de F. destinés à acquérir des matériels de détection de la vitesse et de l’alcoolémie, 800 appelés du contingent venus épauler les forces de police et de gendarmerie pour des contrôles routiers, une procédure d’amende forfaitaire et de paiement immédiat des amendes pour rendre la sanction plus immédiatement perceptible, soulager les tribunaux et les services de recouvrement et accélérer ainsi le jugement des infractions les plus graves.
Mais surtout, fidèle à sa méthode qui repose sur le fait qu’une réforme, pour être acceptée, doit d’abord partir d’un diagnostic partagé, Michel Rocard charge une commission, présidée par un ingénieur général des Ponts et Chaussées, Pierre Giraudet, entouré de personnalités aux compétences pluridisciplinaires (un magistrat, un préfet, un psychanalyste, un psychologue, des représentants de familles de victimes, deux anciens délégués interministériels à la sécurité routière, Christian Gérondeau et Pierre Mayet, le professeur Claude Got, chef d’un service d’anatomie pathologique, etc.) d’établir un rapport faisant le bilan de la politique conduite jusqu’ici dans ce domaine et établissant des propositions de moyen et long terme pour enraciner dans la durée une politique de réduction de la mortalité sur les routes.
Le Premier ministre sait bien que plusieurs de ses prédécesseurs se sont attaqués à cette question, à commencer par Jacques Chaban-Delmas qui, en 1972, avait créé le premier Comité interministériel à la sécurité routière et nommé Christian Gérondeau aux fonctions de premier délégué à la sécurité routière. A l’époque, il y avait plus de 16.500 tués par an sur les routes. Le travail de sensibilisation de l’opinion produit ses effets, la limitation de la vitesse sur les autoroutes et les routes nationales est décidée, la société civile se mobilise également, avec des associations comme la Ligue contre la violence routière. Malgré tout, la mortalité reste à un niveau très élevé.
En avril 1989, la commission Giraudet remet son rapport au Premier ministre. Ce Livre blanc contient de multiples propositions et le 25 avril, à Antenne 2, Michel Rocard assure qu’il « ne restera pas sans suites ». En février 1990, à la préfecture de Seine-et-Marne, accompagné de Pierre Joxe, ministre de l’intérieur, et de Georges Sarre, secrétaire d’Etat aux transports terrestres et fluviaux, il dévoile les mesures arrêtées par un nouveau Comité interministériel de la sécurité routière dans la droite ligne des recommandations du Livre blanc, parmi lesquelles :
1) L’obligation de port de la ceinture de sécurité aux places arrières ;
2) L’obligation d’un dispositif de retenue adapté pour le transport des jeunes enfants ;
3) La possibilité juridique donnée aux forces de l’ordre d’immobiliser un véhicule dont le conducteur est contrôlé en dépassement du taux autorisé d’alcoolémie ;
4) L’habilitation des contrôleurs des transports terrestres pour relever les infractions à la vitesse des poids lourds.
Il annonce également « une action globale de modération de la vitesse en ville », formule qu’il préfère, dit-il, à celle « trop simplificatrice » du 50 km/h en ville, dans la mesure où la vitesse pourra être différente, en plus ou en moins, sur certains itinéraires spécialement aménagés et précise qu’une concertation interviendra avec les collectivités locales en amont de l’élaboration du décret sur la mise en œuvre de cette mesure.
Sont enfin décidées l’instauration d’un contrôle technique sur les véhicules de plus d’un certain âge, la possibilité d’un apprentissage progressif de la conduite automobile et la création du permis à points, avec une entrée en vigueur prévue pour 1992. Soucieux d’éviter les effets d’annonce sans lendemain, Michel Rocard précise la date d’entrée en vigueur de ces différentes mesures : 1990, 1991 ou 1992, en indiquant à chaque fois les raisons techniques (adaptation des véhicules, formation des personnels techniques, adoption de textes législatifs et réglementaires, informatisation d’un fichier unique des permis de conduire) qui nécessitent cet étalement dans le temps.
« On ne consacre jamais trop de soin, conclut-il, à lutter contre des causes stupides qui engendrent des drames affreux. Se conduire en gens civilisés, c’est conduire d’une manière civilisée et nous ne relâcherons pas l’effort pour l’obtenir de tous. »
Ces précautions pédagogiques n’ont pas été suffisantes pour prévenir les protestations du lobby automobile qui, à chaque nouvelle étape de la lutte des pouvoirs publics contre la mortalité routière, intervient régulièrement avec les mêmes arguments et lors de l’instauration du permis à points, des routiers en colère organisent des opérations escargots… Une occasion de plus de méditer l’aphorisme du Général de Gaulle : « Ce qui est salutaire pour la Nation ne va pas sans blâme dans l’opinion ni sans pertes dans l’élection »…
Jean-François Merle
31.01.2019