La loi Evin a 30 ans
Claude Evin, Janvier 2021
Michel Rocard a été ce qu’on appelle un « grand fumeur ». C’est pourtant sans aucune hésitation qu’il a soutenu le projet de loi que, comme ministre chargé de la santé, j’ai présenté pour réduire la consommation de tabac et d’alcool.
Si la loi du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme continue, aujourd’hui encore, d’être identifiée sous l’appellation de « loi Evin », je dois rappeler qu’elle n’aurait pas pu aboutir s’il n’y avait pas eu un mouvement plus collectif porté d’abord par des médecins engagés dans la défense de la santé publique.
Ils avaient introduit dans le débat public, au cours de la campagne présidentielle de 1988, la nécessité de réduire la consommation de tabac et d’alcool, compte tenu de leur impact sur l’état de santé de la population. Et c’est en s’appuyant sur ce débat public que nous avons pu faire bouger les résistances rencontrées pendant la préparation de ce texte.
Ils étaient nombreux ceux qui, au sein même du gouvernement, s’opposaient aux dispositifs prévus dans la loi : le ministre de l’agriculture défendait les producteurs, le ministre du budget la SEITA, le ministre des sports le sponsoring sportif, le ministre de la culture et de la communication la publicité dans la presse et à la radio, … Il n’y eut pas besoin de nombreux comités interministériels pour que le Premier ministre tranche rapidement le débat, s’appuyant justement sur le mouvement déclenché par les professeurs de santé publique. Sur le plan de la méthode, ce rapport entre le politique et la société civile était l’une des caractéristiques du gouvernement de Michel.
Rappelons que les deux volets de la loi : la lutte contre l’alcoolisme d’une part et la lutte contre le tabagisme d’autre part, reposaient sur quatre piliers : sortir les produits concernés de l’indice des prix afin de pouvoir les augmenter ; règlementer la publicité en leur faveur (interdiction pour le tabac, encadrement pour l’alcool) ; limiter les lieux de consommation, pour notamment protéger les non-fumeurs et les jeunes (de la consommation d’alcool) ; et enfin, permettre aux associations défendant la santé publique d’engager des actions en justice afin de faire respecter ces dispositions.
Le débat parlementaire fut plus vif au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. Les élus des régions viticoles, particulièrement du Languedoc, terre socialiste, y furent les plus virulents. Mais il n’y eut jamais le moindre doute de la part de Michel et de son cabinet quant à l’intérêt de faire adopter le dispositif proposé. Certains accusaient les mesures d’atteinte au droit de propriété ou à la liberté d’entreprendre. Le Conseil constitutionnel, dans une décision qui marquera, avait considéré que les limites qui y étaient apportées dans la mesure où elles étaient proportionnées, trouvaient leur fondement dans le principe constitutionnel de défense de la santé publique.
La plupart de ces mesures ont survécu depuis trente ans. C’est l’encadrement de la publicité en faveur des boissons alcooliques qui, à diverses reprises, a été remis en cause, beaucoup plus à l’instigation indirecte des métiers de la publicité qu’à la réelle initiative des activités viticoles, qui ont souvent été mises en avant pour masquer d’autres intérêts.
La loi de 1991 est encore aujourd’hui considérée comme une grande loi de santé publique. Avec la création du RMI dont le dispositif a certes évolué depuis, ou la création de la CSG, pour ne citer que deux autres exemples relevant du ministère dont j’avais la charge, elle témoigne encore de la démarche réformatrice impulsée par Michel pendant les seules trois années où il a dirigé le gouvernement.
Claude Evin
Ancien ministre de la solidarité, de la santé et de la protection sociale