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Fondation Jean Jaurès

Michel Rocard et les forces de l'ordre

Benjamin Thibord, Juin 2017

Allocution de Michel Rocard à l'école des officiers de gendarmerie de Melun, 7 juillet 1988

Michel Rocard devient Premier ministre le 10 mai 1988 dans un contexte troublé. La Nouvelle-Calédonie a connu une escalade de la violence et des évènements tragiques ont lieu peu de temps avant sa nomination. Le 22 avril 1988, les indépendantistes du FLNKS, menés par Alphonse Dianou, attaquent la brigade de gendarmerie de Fayaoué : quatre gendarmes meurent dans l'attaque et vingt-sept sont retenus en otage et conduits dans la grotte d'Ouvéa. La prise d'otage dure du 27 avril au 5 mai 1988 et se solde par une attaque des troupes d'élite (G.I.G.N, E.P.I.G.N, commando Hubert, 11e choc) conduisant à la mort de dix-neufs kanaks et de deux gendarmes. La situation s'est par la suite apaisée, en particulier grâce aux accords Matignon, signés le 26 juin 1988 sous l'égide de Michel Rocard, prévoyant la mise en place d'un référendum pour l'autodétermination de l'île, le 6 novembre 1988.

Le but de cette visite pour Michel Rocard est donc d'affirmer le soutien du gouvernement au corps des officiers de gendarmerie, chefs d'une arme à la fois meurtrie par les évènements, et décriée par la population eu égard au bilan sanglant de Calédonie. Il tient d'abord à rappeler que les gendarmes ne sont pas des militaires comme les autres, dans la mesure où ils exercent leur fonction dans le cadre des lois républicaines. « Soldats de la loi » est l'expression usitée par le Premier ministre pour les désigner ; les gendarmes sont en effet des personnels au statut militaire et qui dépendent du ministère de la Défense jusqu'en 2009. Michel Rocard insiste sur l'éthique et le sens de l'honneur propre à chaque gendarme, et en particulier aux officiers dont il baptise la promotion. Il pointe également les problèmes spécifiques des militaires, à savoir leurs moyens d'expression limités, dans la mesure où ils ne peuvent se syndiquer à cette date. Michel Rocard insiste également sur la nécessaire adaptation de la gendarmerie nationale par rapport aux évolutions de la société et met en exergue les missions de service public qui leur sont confiées. Pour conclure, le Premier ministre se fait porte-parole du gouvernement, représentant de l'Etat et héraut de la Nation envers cette arme : il conclut son bref discours par la phrase « La Nation entière sait que la Gendarmerie a payé un lourd tribut ».

Allocution de Michel Rocard devant la Police nationale, le 15 décembre 1988

Michel Rocard prend la parole devant le syndicat des commissaires et des hauts- fonctionnaires de la police nationale (S.C.H.F.P.N) à la demande de son secrétaire général, et souhaite par cette voie adresser une pensée pour les personnels de police. Il ancre son discours dans le cadre constitutionnel : « La garantie des Droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc constituée pour l'avantage de tous et non pour l'utilité particulière de ceux à qui est elle confiée »[1]. Il salue d'abord les personnels de police et insiste sur le triple rôle qui leur est confié : il est préventif, répressif et social. Le troisième versant est le plus notable, dans la mesure où les missions régaliennes de police ne doivent pas être le prétexte d'un clivage entre l'Etat et la société, mais au contraire être le moyen par lequel le citoyen peut trouver dans l'administration plus qu'un garant de l'ordre public, mais un véritable appui.

Le Premier ministre annonce ici l'augmentation du budget dédié à l'informatique de 23%, dont 43% pour l'amélioration des seules transmissions. Dans le contexte de la fin des années 1980 en effet, l'informatique prend une place croissante dans la société et les forces de l'ordre se doivent de ne pas être en reste. Parallèlement, huit milliards de francs sont accordés pour donner davantage de moyens à la police scientifique[2].

Michel Rocard décrie ensuite l'évolution des formes de délinquance, en premier lieu la toxicomanie, qui occupe une place de plus en plus importante dans toutes les strates de la société[3]. Vient ensuite la délinquance financière et le blanchiment d'argent des activités criminelles, à laquelle est dédiée de nouvelles unités de police judiciaire. C'est d'ailleurs en 1990 qu'est créé au sein du ministère de l'économie et des finances TRACFIN, une cellule de renseignement chargée exclusivement de la délinquance financière[4]. Michel Rocard rappelle ensuite l'utilité de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (U.C.L.A.T)[5], qui est sous la tutelle directe du directeur général de la police nationale. Les années 1980 sont en effet marquées par la poursuite des violences en Corse et dans le pays basque, l'omniprésence des attentats revendiqués par le groupe d'extrême-gauche Action directe et l'émergence du terrorisme islamiste, avec l'attentat de la rue des Rosiers en 1981[6], et plus récemment l'attentat de la Rue de Rennes du 17 décembre 1986 ayant fait 7 morts et 55 blessés, revendiqué par le Hezbollah libanais. Enfin, il décide de la création d'une cellule des relations internationales, en coopération avec les différentes polices européennes. Ce rapprochement institutionnel s'est opéré de manière officieuse au sein de la structure intergouvernementale TREVI, avant d'être remplacée par Europol en 1999. Depuis 1985 et l'ouverture des frontières au sein de l'espace Schengen, les polices européennes sont en effet confrontées à de nouveaux défis liés à la libre circulation des hommes et des marchandises, favorisant les possibilités de trafics divers.

Le Premier ministre conclut son discours en affichant sa volonté de promouvoir la formation continue des personnels de police. Pour ce faire, il annonce une augmentation de dix-huit milliards de francs, soit une augmentation de près de 40% du budget consacré. Surtout, Michel Rocard décide de la création de l'Institut des Hautes études de la Sécurité intérieure (I.H.E.S.I)[7], sur le modèle de l'Institut des hautes études de Défense nationale, créé en 1936. Cet institut, dont le siège n'est autre que l'Ecole militaire, est un établissement public à caractère administratif (E.P.A) sous tutelle directe du Premier Ministre. Le but de cette structure et de promouvoir les liens entre le monde de la recherche dans des domaines divers (droit, sociologie, géopolitique, criminologie, ...) et les acteurs opérationnels des services de police et de gendarmerie. L'un des partenaires principaux de l'Institut est d'ailleurs l'Ecole nationale supérieure de la police (ENSP), située à Saint-Cyr-au-Mont-d'Or, dans l'agglomération lyonnaise, où sont formés les commissaires et les officiers de police, c'est-à-dire le corps de conception et de coordination et le corps de commandement de la police nationale.

Michel Rocard, par ses deux discours devant les officiers de gendarmerie et les commissaires de police, fait montre de ses qualités de chef de gouvernement. Surtout, en se rapprochant des services de sécurité, à savoir du ministère de la Défense et de l'Intérieur, il incarne une gauche de gouvernement, responsable, pragmatique et conscient de la nécessité de ces forces, pourtant davantage appréciées par l'électorat républicain et conservateur. Michel Rocard contre ainsi le traditionnel discours de la droite décriant la faiblesse des hommes de gauche en matière de sécurité. Cette volonté s'explique par une double dynamique, la première est le caractère contemporain d'évènements sanglants, la seconde est à chercher dans la volonté politique de Michel Rocard de se poser en véritable homme d'Etat, et de mettre à profit les prérogatives qui sont les siennes à cette époque. Il cherche néanmoins à poser les forces de l'ordre à la fois comme des garants de l'ordre public, mais également comme un rouage indispensable au fonctionnement d'une société.

Benjamin Thibord (juin 2017)

Diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris

1. Article 12 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, parue le 26 août 1989, et rattachée à la Constitution du 4 octobre 1958 dans son préambule.

2. Soit environ 2 milliards d'euros actuels en parité de pouvoir d'achat, en prenant en compte l'inflation.

3. La fin des années 1980 est marquée par une extension des trafics d'herbe et de cocaïne. Les flux d'Amérique du Sud vers les Etats-Unis s'estompent grâce à une politique ferme de Ronald Reagan, d'où un détournement des cargaisons vers l'Afrique francophone et partant, vers l'Europe via les diasporas.

4. Tracfin est l'acronyme de « Traitement de renseignement et action contre les circuits financiers clandestins », il est crée par la loi n°90-614, le 12 juillet 1990 et rejoint la communauté française du renseignement.

5. Unité créée par un arrêté du 8 octobre 1984 du ministère de l'Intérieur, en l'occurence Pierre Joxe, ministre de l'Intérieur du 19 juillet 1984 au 29 janvier 1991.

6. L'attentat de la rue des Rosiers a été revendiqué par le Fatah et date du 9 août 1982. Il a fait six morts et une vingtaine de blessés, en particulier au sein de la communauté juive.

7. Institut des Hautes études de la Sécurité intérieure (IHESI), qui est remplacé en 2004 par l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ). 

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