Vers la fiscalisation du financement de la Sécurité sociale : la création de la contribution sociale généralisée
Manon Mathieu-Groult, Janvier 2023
La contribution sociale généralisée (CSG), instituée le 29 décembre 1990 par la loi de Finances pour 1991[1], est le fruit d’une longue réflexion concernant la nécessaire adaptation du mode de financement de la Sécurité sociale depuis le milieu des années 1970. Le système de financement conçu en 1945 était exclusivement fondé sur la cotisation sociale, dont le mécanisme correspondait parfaitement à la fois au contexte économique et social d’après-guerre, ainsi qu’au choix d’une protection sociale de type assurantiel. Cependant, ces conditions favorables au maintien exclusif de la cotisation s’érodant progressivement, la question de la diversification se pose.
Il s’agit ici de questionner comment fut mis en œuvre le choix de la fiscalité, qui finit par s’imposer comme la solution la plus adéquate, et dont les logiques répondaient au mieux à la généralisation des prestations.
La présente étude se fonde majoritairement sur un travail d’archives, regroupant celles issues du ministère des Finances, plus particulièrement de la direction du Budget, du Commissariat général au Plan, du cabinet du Premier ministre, ainsi que du ministère des Affaires sociales.
La construction technique de l’impot
Ainsi, le choix ferme et définitif d’instaurer un prélèvement fiscal, alors appelé contribution sociale de solidarité fut officialisé en octobre en conseil des ministres par Michel Rocard, Premier ministre de l’époque. Ce fut notamment ce dernier, accompagné par le ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale[2], Claude Évin, qui soutinrent le projet de ses prémices à sa concrétisation.
La création de la CSG, tout premier grand impôt synthétique affecté de façon pérenne au financement de la Sécurité sociale, engendra tout un ensemble de considérations techniques à prendre en compte concernant l’élaboration de ses caractéristiques. En effet, il s’agissait d’intégrer un nouveau prélèvement à la fois dans un système de financement bâti sur le modèle de la cotisation sociale, mais aussi dans la structure fiscale. De plus, la CSG était porteuse d’un objectif précis : il s’agissait d’une réforme de « justice sociale », visant à diversifier et élargir le mode de financement de la Sécurité sociale, sans en accroitre les recettes. En effet, le nouveau prélèvement était ainsi pensé comme une opération financièrement blanche.
La question de l’assiette
Le premier élément central à aborder lorsqu’on analyse la CSG est son assiette. En effet, un des grands intérêts que représentait cette contribution, au-delà de la diversification induite par sa nature, reposait sur la multiplicité des types de revenus qu’elle pouvait frapper. En conséquence, son assiette permettait de mettre fin à la prise en charge intégrale du financement des prestations sociales par les détenteurs de revenus professionnels. Aucune assiette existante n’a été utilisée, que ce soit celle de l’impôt sur le revenu (IR), mitée par une multitude de niches, ou encore celle des cotisations sociales. Ainsi, comme le sous-tend sa dénomination, la contribution reposait sur toutes les formes de revenus (du travail, du capital et même de remplacement), de la totalité des personnes physiques domiciliées fiscalement en France. Une taxation au premier franc était souhaitable afin de garantir une largeur d’assiette maximale, mais un abattement de 5% pour frais professionnels a finalement été décidé sur le montant brut de certains revenus[3].
Dans un premier temps, et comme traditionnellement dans le financement de la protection sociale, sont assujettis l’ensemble des revenus d’activité, autrement dit les salaires ainsi que les revenus non-salariaux.
Cependant, le produit du travail ne doit pas pour autant être appréhendé comme une entité uniforme. En effet, si le régime salarial est le plus aisé à cerner - pour lequel fut utilisée l’assiette existante des cotisations maladie -, il n’en va pas de même pour les fonctionnaires. La détermination de cet aspect de l’assiette du prélèvement est beaucoup plus complexe, car il est impossible de généraliser à l’instar du secteur privé en raison des diverses primes et indemnités. Les situations doivent donc être examinées au cas par cas au regard du code de la Sécurité Sociale. Pour ces deux cas de figure, sont comptabilisés les revenus bruts.
Enfin, d’autres ressources professionnelles sont encore plus abstruses. Il s’agit ici des revenus du travail non-salarié, c'est-à-dire les commerçants, artisans, les professions libérales ou encore les affiliés agricoles. Pour ces derniers, des modalités de définition de la base imposable ont dû être instituées compte tenu de leur irrégularité. Ainsi, une disparité d’assiette a été instaurée, prenant en compte les revenus bruts pour les salariés, largement forfaitaires pour les exploitants agricoles, et enfin les revenus nets pour les non-salariés non-agricoles.
Dans un second temps, les principales difficultés apparurent pour le traitement des revenus de remplacement. L’assujettissement de ces derniers est un élément indispensable à la participation de tous au financement de la protection sociale, mais pose plus qu’aucune autre forme de revenu le dilemme entre généralisation et « justice sociale ». Les revenus de remplacement sont par définition des ressources à vocation sociale, de soutien aux personnes les plus fragilisées, que ce soit par la tranche d’âge, la situation familiale ou professionnelle. Toutefois la nature du revenu ne permet pas totalement de présager d’une situation, et ne constitue pas l’unique paramètre à prendre en compte. En effet, un revenu salarial peut s’avérer moindre qu’une pension de retraite, et ainsi engendrer une précarité à prendre en compte. Ce principe, à revenu égal, contribution égale, peu importe la nature de revenus, est largement revendiqué comme principe fondateur de la CSG. S’exprimait ainsi Michel Rocard :
« Le même souci de juste répartition de l’effort et de solidarité nous guide s’agissant de la réforme du financement de la Sécurité Sociale, en particulier de sa branche Famille. La contribution de tous aux dépenses de tous doit être répartie en fonction des possibilités de chacun. (...)
Il n’y a pas d’un côté le revenu des inactifs, intouchable, même quand il est élevé, et de l’autre, le revenu des actifs, taxable à l’infini, même quand il est modeste ou simplement moyen.
Il y a des revenus, quelle qu’en soit l’origine, qui sont assez élevés pour justifier une contribution limitée. Il y a des revenus, faibles ou moyens, sur lesquels la pression doit être soulagée.
C’est pourquoi les retraités, dès lors qu’ils sont imposables à l’impôt sur le revenu, paieront, comme tous les autres Français, la contribution sociale généralisée. La solidarité doit reposer sur la participation de tous en fonction des revenus sans distinction d’âge et de statut[4]. »
Par conséquent, pour la définition des exonérations, une double prise en compte de la nature et du montant du revenu est exécutée. Sont alors exonérés : les allocations de chômage et les pensions de retraite inférieures ou égales au SMIC, ainsi que les titulaires d’un avantage vieillesse ou invalidité non-contributif[5], ainsi que ceux bénéficiant de revenus différentiels.
Concernant la fiscalité sur le capital, afin de ne pas aller à l’encontre des politiques gouvernementales menées dans ce domaine, quelques ajustements furent nécessaires. Face aux contraintes de l’harmonisation européenne en matière de fiscalité de l’épargne et de la crainte d’une fuite des capitaux, il fut décidé que tout alourdissement causé par la CSG serait compensé par une baisse équivalente de la fiscalité d’État.
Le régime des taux
Dans un second temps, concernant le taux, le premier positionnement de Michel Rocard fut en faveur d’un impôt proportionnel à taux unique et bas. La focale ne fut pas placée sur la définition du chiffre. Un consensus rapide fut formé autour d’un taux faible, entre 0,8 et 1,5%, qui aboutit au choix de 1,1%. Par ailleurs, le taux de la CSG est voté par le Parlement et non pas fixé par décret.
L’enjeu principal se cristallisa autour de la question de la non-déductibilité de ces 1,1%, ainsi que de ses conséquences. Ainsi, à l’éventuelle critique de la proportionnalité de la contribution[6], peut être avancée la progressivité induite par le choix de la non-déductibilité de la CSG à l’IR. En effet, le choix d’un taux proportionnel ne signifie pas marginalisation de la redistribution sociale. D’autres facteurs satellites peuvent infléchir les effets d’un taux d’imposition, en lui insufflant une dose plus ou moins importante de progressivité ou bien de dégressivité.
La question de la déductibilité est d’ailleurs triplement importante, car elle détermine premièrement une inclinaison vers la redistribution. Elle constitue aussi l’un des aspects de la nouvelle cohabitation entre les deux formes d’imposition du revenu. Enfin, elle engage une prise de position concernant la nature juridique de la CSG, qui comme nous le verrons, n’est absolument pas évidente. Pour assurer une dose de progressivité à la CSG, il faudrait la rendre non-déductible de l’impôt sur le revenu, car en pratique, un prélèvement proportionnel, assis sur le revenu brut et non-déductible est égal à un prélèvement progressif (sur le revenu disponible) 6. C’est d’ailleurs la décision qui sera prise et fermement défendue par Michel Rocard, sans pour autant faire l’unanimité. C’est notamment la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, au nom de la Commission du Travail et des Questions sociales ainsi que de la Commission Fiscale qui exprima dans un rapport leur souhait commun d’asseoir la déductibilité. Selon les caractéristiques de la contribution, celle-ci devrait logiquement être déductible de l’impôt sur le revenu[7]. Selon Raoul Collet, rédacteur du rapport, la non-déductibilité est indéfendable d’un point de vue juridique et technique. Cette mesure ne peut donc avoir qu’une seule explication, la volonté de donner un certain caractère progressif à la CSG, qui devrait pourtant être un prélèvement proportionnel. De cette disposition résulte l’affichage d'un transfert plus marqué des hauts revenus vers les bas, en concentrant par conséquent le prélèvement sur une minorité et notamment les cadres.
L’affectation de la CSG : un impôt qui finance la Sécurité sociale à intégrer dans le système préexistant
Après son assiette, l’autre grand point de débat concernant la CSG fut la question de son affectation. Cette nouvelle forme de ressource pour la Sécurité sociale pose plusieurs problèmes, dont deux sont particulièrement pointés du doigt : limiter la possible confusion entre finances sociales et étatiques que la CSG pourrait engendrer ; enfin comment intégrer ce nouveau prélèvement dans la structure du financement par cotisations sociales déjà existant.
En effet, étant donné que la CSG a été originellement pensée comme un impôt à prélèvement constant, chaque point de CSG devait par conséquent être neutralisé par une baisse concomitante des cotisations sociales. S’il était clair que la contribution était destinée au régime général, l’enjeu de l’affectation précise des recettes de la CSG à une ou plusieurs branches du régime général implique des considérations différentes au vu de sa nature fiscale. Par conséquent, deux aspects ont guidé les considérations : à la fois déterminer la branche la plus légitime à recevoir les recettes de la nouvelle contribution, mais aussi l’équilibrage de points de cotisations le plus adéquat qui en découle.
D’un point de vue financier, le risque vieillesse est celui rencontrant le plus de difficultés, et la suppression du 0,4% le place d’autant plus au centre des préoccupations. Ainsi une première forme d’affectation intégrale à la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) a été élaborée, plus précisément à la prise en charge de la compensation démographique, considérée comme une charge indue de la Sécurité sociale. Serait aménagée simultanément une baisse de 0,8% de la cotisation vieillesse salariée. Cette solution avait pour avantage d’affecter la CSG à une dépense précise, ce qui ne contenait pas en germe une augmentation des prélèvements obligatoires comme le peut un projet d’affectation plus large. Il a également été envisagé une répartition parmi les régimes vieillesse en fonction de l’état des comptes, ainsi que sous proposition du ministère de la Solidarité une affectation mixte (25% des recettes affectées directement à la CNAV, et les 75% restants ventilés entre les autres branches).
Cependant, les contraintes financières ne sont pas les seules à prendre en compte. En effet, la nature fiscale de la CSG implique également des contraintes en termes de respects des logiques intrinsèques au fonctionnement de l’impôt. Étant donné que l’impôt est par nature payé par tous, les bénéfices tirés des recettes devraient pouvoir concerner la plus grande frange de la population possible. C’est ainsi qu’une affectation à la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) s’est progressivement dessinée. Alors que le ministère des Finances avait conçu son propre projet d’affectation à un fonds de solidarité spécifique et créé pour l’occasion, le Premier ministre était fortement attaché à l’option CNAF. Alors que Matignon s’apprêtait à envoyer le texte de loi au Conseil d’État à la mi-juin 1990, le Premier ministre était totalement opposé à l’institution du fonds de solidarité, et prévoyait plutôt le schéma d’affection 75% à la CNAF et 25% à la CNAV.
Cette solution fut privilégiée jusqu’en novembre 1990. En effet, lors du débat sur la création de la contribution sociale généralisée dans le cadre de la loi de finance pour 1991, Michel Rocard modifia son souhait d’affectation. Alors que le projet de loi présenté à l’Assemblée prévoyait la double affectation, ce dernier précisa devant les députés qu’il s’agissait dorénavant d’une affectation exclusive à la CNAF. Ce dernier arbitrage fut accompagné d’un dispositif complexe afin de neutraliser les effets de la contribution sur le niveau des prélèvements obligatoires.
Le mode de recouvrement
Enfin, apparut le problème du mode de recouvrement. Sa définition donna lieu à trois questions, majoritairement d’ordre pratique, afin d’assurer une levée efficace des recettes : quel mode de recouvrement choisir ? Qui sera en charge de ce recouvrement ? Et enfin, comment recouvrer les ressources ?
Un accord est rapidement trouvé en ce qui concerne le mode de recouvrement, qui devait être le plus possible réalisé à la source. Alors même qu’aucun grand impôt sur le revenu n’avait encore été prélevé de la sorte, ce procédé fut considéré comme le plus sûr, le moins couteux, et également, le moins douloureux pour les contribuables. Le second enjeu fut plus épineux, car soulevait un problème de légitimité concernant la désignation des administrations compétentes. Une distinction nécessaire mais problématique fut décidée : la contribution sur les revenus d’activité et de remplacement était recouvrée en même temps que les cotisations sociales par les URSSAF, tandis que celle sur les revenus du capital dépendaient de l’administration fiscale. Le caractère dual de la CSG permettait un tel dispositif, qui constituait la solution la plus facile à mettre en œuvre. En effet, en vue de son affectation, un recouvrement par les URSSAF paraissait comme le cheminement le plus évident. Néanmoins, les organismes de Sécurité sociale n’avaient absolument pas connaissance des revenus du capital, contrairement aux administrations fiscales. Ainsi le choix de ce double recouvrement permet de tirer le meilleur profit des compétences respectives de chaque administration.
Bien que la configuration soit arrangeante, la légitimité des URSSAF en tant que responsables du recouvrement d’une part substantielle de la contribution est mise en doute. Le Conseil d’État n’est pas enclin à ce qu’une partie de la CSG soit recouvrée par les mêmes organismes et selon les mêmes modalités que les cotisations sociales, alors qu’il s’agit d’un prélèvement de nature différente.
De plus, et même essentiellement, la plupart des organismes de Sécurité sociale relèvent du droit privé mais assurent une mission de service public sous la tutelle de l’État. Seuls quelques-uns sont des établissements publics administratifs (essentiellement les caisses nationales). La CSG étant un impôt, dont l’assiette est en outre liée à celle de l’impôt sur le revenu, il serait très inopportun de laisser cette responsabilité à un organisme de droit privé, bien que sous la tutelle de l’État.
Malgré cette contre-indication, le double mode de recouvrement n’a pas été modifié, et fut au contraire entériné dans le texte de loi instituant la CSG.
Le choix de la fiscalité et ses enjeux
Définition juridique : CSG impôt ou cotisation ?
Quand bien même la CSG se place dans une volonté de diversification du mode de financement de la Sécurité sociale, la question de sa nature, entre cotisation sociale et impôt ne fut pas pour autant une évidence. La nature de ce prélèvement a été source de nombreuses réflexions et discussions lors de sa création, et suscite encore aujourd’hui un intérêt particulier. En effet, la CSG est un véritable hybride, dont les contours brouillent les distinctions traditionnelles entre cotisation sociale et impôt. Son ambiguïté vient donc du fait qu’elle emprunte à la fois au domaine social et au domaine fiscal. La CSG est un prélèvement affecté à la Sécurité sociale, prélevé en grande partie à la source en même temps et selon les mêmes modalités que les cotisations sociales. Néanmoins, elle n’est pas déductible de l’impôt sur le revenu contrairement aux cotisations. Pour les revenus du capital, la contribution est prélevée selon les mêmes règles que l’impôt sur le revenu. Enfin son taux n’est pas fixé par décret comme pour les cotisations mais nécessite un vote annuel du Parlement. Face à l’entremêlement de ces caractéristiques empruntées tantôt au champ social, tantôt à la fiscalité, il est très difficile d’y voir clair. En effet, la nature même de la CSG, c'est-à-dire un prélèvement sur l’ensemble des revenus des ménages n’entraîne pas automatiquement une nature juridique spécifique. Ainsi, sa catégorisation relevait d’un choix à la fois technique et politique.
En effet, un vent de discorde soufflait au sein du gouvernement concernant la nature fiscale de la CSG. Si le Premier ministre en particulier y était fortement attaché, le ministère des Finances lui ne voyait guère d’un bon œil la création d’un impôt qui ne serait pas dévolu aux caisses de l’État. C’est pourquoi ce dernier élabora deux possibilités divergentes, à savoir une CSG sociale ainsi qu’une CSG mixte (à la fois impôt et cotisation).
Pour choisir entre la cotisation ou l’imposition, il fallut premièrement prendre en compte deux aspects : les possibilités d’affectation de la CSG ainsi que le degré d’implication du Parlement désiré dans le financement de la Sécurité sociale[8].
En effet, une CSG fiscale peut d’un point de vue juridique être affectée de façon beaucoup plus souple qu’une CSG sociale, car elle peut être attribuée à n’importe quelle branche ou régime, comme c’est d’ores et déjà le cas pour plusieurs ressources fiscales. Inversement, pour qu’un prélèvement obligatoire se voie reconnaitre un caractère social, il faut pouvoir démontrer l’existence d’une contrepartie possible sous forme de prestations.
La volonté de Michel Rocard était d’instituer un prélèvement intégralement fiscal, ce qui fut le choix retenu en dépit des risques d’inconstitutionnalité que cela comportait[9].
Dans un souci de clarification, la CSG fut dans un second temps divisée en trois contributions présentées de façon distinctes dans la loi de finances, mais regroupées sous l’appellation « contribution sociale généralisée » : une première contribution sur les revenus du travail et de remplacement ; une deuxième sur les revenus du patrimoine ; et enfin une dernière sur les produits de placements financiers. Cette opération facilite les disparités de traitement qui existent entre les différents types de revenus, notamment le fait que la CSG sur les revenus du travail et de remplacement soit prélevée comme les cotisations sociales, alors que celle sur les autres types de revenus dépend de l’administration fiscale. Cette distinction peut également apporter une plus grande souplesse dans l’évolution du prélèvement en rendant plus facile l’ajustement ciblé de certaines caractéristiques techniques comme le taux. Ce morcellement de la CSG lui vaut parfois la caractérisation d’impôt cédulaire.
Néanmoins, le doute entre prélèvement social et fiscal persista jusqu’aux débats parlementaires autour de la création de la CSG au Sénat et à l’Assemblée nationale au mois de novembre. Plusieurs députés et sénateurs saisirent le Conseil constitutionnel afin qu’il tranche sur la nature juridique de la CSG et les problèmes d’inconstitutionnalité afférents. Ce dernier statua et considéra que la contribution entrait dans la catégorie des « impositions de toute nature » visées à l’article 34 de la Constitution, dont il appartient au législateur de fixer les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement. La contribution fut placée dans cette catégorie sans motivations précises justifiant cette décision[10].
Une opposition généralisée
La défense du projet par le Parti socialiste
Ainsi, le projet de CSG fut porté par le Parti socialiste, et plus particulièrement par le Premier ministre Michel Rocard ainsi que Claude Évin, ministre des Affaires sociales et de la Solidarité. Ce furent ces deux derniers qui défendirent la réforme lors des débats parlementaires, en mettant en avant un aspect quelque peu contre-intuitif de la contribution : son ancrage dans une logique de « justice sociale ». En effet, la CSG n’est absolument pas présentée comme une recette supplémentaire permettant de combler le déficit de la Sécurité sociale. Elle s’avéra être à l’origine un prélèvement de substitution (à des cotisations sociales en l’occurrence) et non pas de complément. Ainsi, tout l’intérêt de la CSG était de réformer en profondeur le mode de financement de la protection sociale en y apportant davantage de justice. Il est vrai que l’affirmation faite par Michel Rocard devant l’Assemblée nationale « la contribution sociale généralisée est une réforme de justice sociale » peut paraître paradoxale s’agissant de la création d’un prélèvement proportionnel. Le Premier ministre et les socialistes voulaient alors démontrer que la CSG n’entraînait pas les effets auxquels on pourrait s’attendre face à un impôt nouveau, c'est-à-dire l’alourdissement des prélèvements obligatoires. Bien au contraire, cette dernière allait dans le sens d’une amélioration de la situation des revenus les plus faibles[11].
La CSG avait d’ailleurs été initialement appelée contribution sociale de solidarité (CSS), terminologie que nous retrouvons de façon systématique entre 1988 et 1989, puis de façon plus au moins régulière en 1990 jusqu’à l’adoption du projet. Le choix de la redondance « sociale » et « solidarité » atteste dans une certaine mesure une double volonté politique : permettre une meilleure acceptation du projet, toujours difficile lorsqu’il d’agit de la création d’un nouveau prélèvement ; et placer la contribution dans la continuité des grandes réformes sociales engagées par le PS sous la présidence de François Mitterrand.
Si la défense du projet de CSG fut assurée de façon unanime par l’ensemble du Parti socialiste lors des débats parlementaires, cela n’empêcha pas un certain nombre de tensions internes. En effet, la réforme fut entreprise dans une période de relatives dissensions. À la rupture idéologique marquée entre Michel Rocard et François Mitterrand dès la fin des années 1950, s’ajoute progressivement au long des années 1960-1970 celle entre le Premier ministre ayant adhéré à la « deuxième gauche » et le reste du parti.
L’institution de la CSG a fait l’objet de nombreuses critiques internes au Parti socialiste, qui, en se répercutant dans l’espace public, nuisirent à la communication gouvernementale. Nous pouvons par exemple citer l’article paru dans le Figaro du 30 août 1990 à l’occasion de l’université d’été du PS intitulé « La CSG divise aussi les socialistes », comprenant une interview de Christian Pierret député socialiste des Vosges plutôt sceptique face à la contribution. Lionel Jospin, qui n’a pas hésité lui-même à critiquer le projet gouvernemental, finit par exhorter l’intégralité des membres du PS à faire preuve de davantage de cohésion à l’égard de la CSG. Lors du Comité directeur du Parti socialiste les 29 et 30 septembre 1990, ce dernier affirma que l’essence même du projet était une réelle avancée vers un prélèvement social plus juste. Il aurait été regrettable de s’obstiner à le rejeter pour quelques problèmes de modalités.
Un certain consensus entre la droite, les syndicats et le parti communiste contre le projet
D’un point de vue politique, la CSG fut l’objet d’une opposition pratiquement généralisée. Cependant, le front politique et syndical en réaction à la création de la CSG n’est pas si unifié qu’il y parait. Alors que la droite s’accorde sur la nécessité d’une réforme de type CSG, mais ne reconnait pas les caractéristiques décidées par le gouvernement Rocard, bien que très proches du prélèvement conçu par les Sages lors des États généraux de la Sécurité sociale[12], le Parti communiste lui émet une réelle critique de fond. Les syndicats de salariés, particulièrement la CGT et FO, recentrent le débat sur la rupture qu’engendre une fiscalisation croissance du financement avec la tradition de la gestion paritaire de la Sécurité sociale, ainsi que sur la question des charges indues. En revanche, l’évolution possible de la CSG était systématiquement envisagée comme une montée en charge inévitable du prélèvement, et ce par l’ensemble des acteurs politiques, y compris le ministre des Finances.
En revanche, un syndicat se positionna totalement à contre-courant : la CFDT. Celle-ci fut l’unique syndicat à encourager dès les premières heures la création d’un prélèvement sur tous les revenus. Au cours des États généraux en 1987, le syndicat avait d’ores et déjà exprimé son soutien au prélèvement conçu par les Sages. Ainsi, plusieurs explications peuvent être données au positionnement unique de la CFDT.
Premièrement le principe universel de la contribution, reposant sur tous les revenus et tendant à financer des prestations ouvertes à tous, correspond à l’idéologie alors véhiculée par le syndicat. La CFDT prônait à cette période les logiques de solidarité nationale plutôt que celles relevant de la solidarité professionnelle. Elle ne pouvait donc que soutenir la substitution de cotisations sociales par un impôt. De même, d’un point de vue davantage politique, la CFDT entretenait une certaine relation de proximité avec la « deuxième gauche » et Michel Rocard. Enfin, un certain remaniement du positionnement des syndicats vis-à-vis du gouvernement depuis les années 1980 plaça la CFDT en tant que syndicat réformiste au lieu de Force ouvrière (FO). La Confédération générale du travail (CGT) et FO se trouvaient davantage en concordance dans la défense du système de protection sociale assurantiel, alors que la CFDT devenait plus réformatrice.
Au regard des résistances exercées à l’encontre de la contribution, l’adoption du projet de loi fut particulièrement ardue. De fait, Michel Rocard engagea la responsabilité de son gouvernement le 16 novembre 1990 en application de l’article 49-3 de la Constitution sur la section de la loi de finances pour 1991 concernant la création du nouveau prélèvement. Une motion de censure fut alors déposée par le RPR et l’UDF, également votée par le parti communiste. Le 19 novembre, la mention de censure recueillit 284 voix, soit cinq de moins que la majorité absolue, et fut par conséquent rejetée. Malgré l’opposition farouche dont firent preuve la droite et le centre, cette dernière semble majoritairement fondée sur des considérations politiques, certainement destinées à déstabiliser le gouvernement socialiste en place. En revanche, les résistances du parti communiste paraissent davantage ancrées dans une remise en cause de fond.
Après sa mise en place pour 1991, la CSG connut une évolution très rapide. Malgré les grandes oppositions à son encontre lors de son institution, les gouvernements successifs n’hésitèrent pas à l’utiliser comme moyen privilégié de réformer le financement de la Sécurité sociale tout au long des années 1990. Ainsi, la progression de la CSG est caractérisée par deux éléments, une montée en charge substantielle accompagnée d’un changement progressif de sa structure.
En effet, entre son institution en 1991 et la dernière hausse substantielle de son taux en 1998, la CSG passa de 1,1% à près de 7,5% pour les revenus d’activité. Cette montée en charge spectaculaire fit de la CSG le premier impôt direct devant l’IR en fonction des recettes. De la même manière, du point de vue de la structure et des logiques du prélèvement, la CSG de 1998 ne ressemble plus vraiment à celle de 1991 dont Michel Rocard avait la paternité. Outre le fait que la CSG n’est plus une contribution au taux faible et unique, sa non-déductibilité n’est plus que partielle, son affectation n’a cessé d’être diversifiée, et enfin, elle n’est plus effectuée à prélèvements constants.
Manon MATHIEU-GROULT
Étudiante en master 2 de Sciences politiques à l’Université Paris-I
[1] Loi de finances pour 1991, n° 90-1168 du 29 décembre 1990. JORF n°303 du 30 décembre 1990
[2] Devenu ministre des Affaires sociales et de la Solidarité en octobre 1990
[3] À savoir, les traitements, salaires, indemnités, émoluments, revenus tirés de l’activité d'artiste/auteur, allocations de chômage, sommes liées à l’intéressement, à la participation ou à l’actionnariat, indemnités des élus, membres du Conseil économique et social et du Conseil constitutionnel.
[4] Extrait du discours de Michel Rocard au vingtième anniversaire de l’Union nationale des associations de soins et services à domicile le 5 octobre 1990, pp.3-4
[5] Autrement dit bénéficiaires des AAH, AVTS et secours viagers, allocation aux mères de famille, allocation aux vieux travailleurs non-salariés, l’allocation spéciale et sa majoration, allocation supplémentaire du FNS, allocation de vieillesse agricole.
[6] Quand bien même une absence de progressivité aurait tout de même été une avancée face à la dégressivité des cotisations sociales par rapport au revenu.
[7] D’après les règles de fixation de l’assiette de l’impôt sur le revenu, cette dernière s’applique aux revenus disponibles réels, nets à la fois des prélèvements à caractère obligatoire ayant amputés le revenu avant sa perception, et aussi des impôts spécifiques. La CSG pouvant être assimilée à un prélèvement obligatoire, elle devrait logiquement être déductible de l’impôt sur le revenu.
[8] Pour rappel, si la CSG s’avérait devenir une cotisation sociale, alors elle serait instituée et définie par voie législative, mais le taux resterait du domaine réglementaire. En revanche, si elle devenait une imposition alors l’assiette, le taux, et les modalités de recouvrement dépendraient aussi du domaine législatif.
[9] Les questions du recouvrement par les URSSAF de droit privé, le doute de non-égalité de tous devant l’impôt causé par les disparités de l’assiettes sont notamment pointées du doigt
[10] Ce n’est pas le premier prélèvement a être rangé au nombre des impositions de toutes natures par voie d’affirmation, il fut de même pour la contribution sur les tabacs et alcools instituée par la loi du 19 janvier 1983 (décision n° 82-148 DC du Conseil constitutionnel).
[11] Cet allègement était opérant jusqu’à un certain seuil, fixé à 18 000 francs par Matignon. Autrement dit, tous les revenus d’activité inférieurs à ce montant bénéficiaient d’une baisse de leurs prélèvements obligatoires dès 1991. En tenant compte de la non-déductibilité de la contribution, ce seuil est ramené à 15 000 francs environ pour 1992. Les dispositions prises en complément de l’institution de la CSG (suppression du 0,4%, substitution aux cotisations sociales, non-déductibilité et remise forfaitaire de 42 francs) permettaient aux bénéficiaires du SMIC de voir leur pouvoir d’achat augmenter de 1%, ce gain étant identique pour les revenus de 7 500 francs. La non-déductibilité et le remplacement de cotisations sociales dégressives par une CSG progressive est à l’avantage des faibles salaires.
[12] L’organisation des États généraux de la Sécurité sociale à l’automne 1987, consultation nationale inédite initiée par le Premier ministre Jacques Chirac sous l’impulsion de Philippe Séguin, Ministre des Affaires sociales et de l’Emploi, était mue par un double objectif : permettre un examen en profondeur de la situation de la protection sociale afin d’établir la solution la plus adéquate ; mais comportait aussi l’avantage politique, à la veille des élections présidentielles de 1988, de ne pas rester dans l’inaction, tout en repoussant à plus tard l’application effective d’une mesure qui serait de toute évidence délicate.