Christophe CLERGEAU
Novembre 2025
Des "clubs Forum" au Parlement européen
J’adhère au PS en 1983. À cette époque, les courants du parti sont très structurés et vivants. C’est lors du congrès de Bourg-en-Bresse que je vote pour la première fois, pour les néo-rocardiens. J’ai ensuite pris contact avec le courant rocardien, avant la démission de Michel Rocard du gouvernement. Je suis ainsi présent à la première université des jeunes rocardiens aux Arcs à l’été 1984, tout en étant adhérent aux étudiants socialistes à Nantes.
Je me souviens de l’ambiance très particulière d’une petite communauté qui voulait réinventer le parti socialiste. Je rejoins ensuite l’UNEF, Forum, le Mouvement des jeunes socialistes, mais toujours avec l’idée de renforcer le courant rocardien.
Grâce à ces mouvements, je fais la rencontre de la génération des jeunes rocardiens de l’époque : Jérôme Safar, Benoit Hamon, Olivier Faure, Christophe Castaner. Nous incarnons ainsi une deuxième génération de jeunes rocardiens, après le trio Valls, Bauer et Fouks. Cette deuxième génération est plus jeune, plus ancrée dans les régions et plus proche de la culture de la deuxième gauche, notamment par l’engagement syndicaliste. Malgré ces différences nous avions de bonnes relations avec Manuel Valls et Alain Bauer.
Nos études vont être quelque peu sacrifiées au nom du militantisme, puisque seul Olivier Faure a deux DEA, nous nous sommes sinon tous arrêtés à la licence. Manuel Valls disait en rigolant que nous avions fait l’ENM : « l’Ecole nationale du militantisme ». À cette période, nous avons croisé Michel Rocard, mais surtout côtoyé son entourage.
Avec l’arrivée au pouvoir de Michel Rocard en 1988, cette première génération de jeunes rocardiens est aspirée à Matignon. Manuel Valls est toujours président, mais il doit déléguer la direction de Forum à un trio avec Olivier Faure comme secrétaire général adjoint, Jérôme Safar trésorier et moi-même comme secrétaire général. Manuel Valls nous laisse donc la direction.
Durant cette période, entre 1989 et 1994, nous avons commencé tout le travail pour renforcer la vie militante des jeunes rocardiens, travail plus fort en région et production intellectuelle des clubs Forum. Les universités d’été sont devenues très importantes. C’était le rendez-vous de rentrée des rocardiens. Nous nous sommes aussi dotés d’une revue : Pantagruel. Avec l’arrivée de Michel Rocard à Matignon, Forum est devenu une force d’attraction sur la jeunesse. D’autant qu’on pouvait y adhérer sans rejoindre le PS. L’idée était pour nous était de prendre des responsabilités dans le syndicalisme étudiant et au MJS afin de renforcer le courant. C’est ce qui nous différenciait d’Opinion, les jeunes rocardiens de Sciences Po. Opinion a participé aux débats d’idées, mais a moins influé sur la politique.
Chaque courant avait son aile au MJS. Le clivage principal c’était les Fabiusiens-CERES contre tous les autres, un héritage des conflits du congrès de Rennes. À cette époque, le bureau national du MJS était entre les mains du secrétaire national du parti à la jeunesse : Jean-Marcel Bichat, un proche de Laurent Fabius. Les rocardiens, les jospinistes (Renaud Lagrave) et poperenistes étaient contre ses orientations et favorables à l’autonomie du MJS.
Ce sont donc deux camps qui ont fini par s’opposer. Les tensions se sont accrues après le congrès de Rennes, les réunions du MJS étaient très violentes à ce moment-là. Cela a homogénéisé humainement les poperenistes, jospinistes et rocardiens pour aller vers l’autonomie.
À un moment on a fini par faire sécession, la majorité du bureau n’obéissait plus au secrétariat national. Il y avait donc deux structures, un MJS officiel contrôlé par Fabius et un MJS autogéré. Nous menions ce combat avec Olivier Faure. J’étais devenu président des jeunes rocardiens (Forum).
Mais nous étions tous les deux trop mêlés aux conflits qui ont précédé et par ailleurs nous cherchions aussi à nous installer dans la vie active, après avoir consacré près de 10 ans au militantisme. Nous avons donc proposé le nom de Benoit Hamon comme secrétaire national du MJS autonome. Il avait de bonnes relations avec les autres et une grande capacité d’animation. En outre, il était moins étiqueté « rocardien » que nous, ce qui permettait d’éviter d’accréditer l’idée selon laquelle c’était les rocardiens qui prenaient le pouvoir. En outre, à ce moment-là, personne ne pensait que l’autonomie du MJS allait marcher.
Puis il y eut la divine surprise de l’arrivée de Rocard à la tête du parti en avril 1993. Le choix de Rocard c’est de donner les moyens à cette équipe de construire le MJS autonome, ce qui était cohérent avec son rôle de Premier secrétaire.
L’idée de Rocard c’était : « quand on est jeune, on s‘investit dans un mouvement de jeunesse ». Avec Olivier Faure, nous lui proposons alors de basculer les clubs Forum dans le MJS, afin de reconstruire le PS.
Le congrès fondateur du MJS aura lieu quelques mois plus tard à Avignon en novembre 1993.
Il y a un passage de relai à la tête de Forum, c’est Régis Juanico qui prend la présidence et Frédéric Béatse qui devient trésorier. À la tête du PS, Michel Rocard m’a plutôt déçu. Je me souviens de la composition de la liste aux européennes de 1994. Il y a une assemblée générale de courant. Il faut faire un choix entre Jean-Pierre Cot et Bernard Poignant qui incarne la nouvelle génération. Rocard dit alors : « je n’ai que des amis, donc je ne choisis pas. » Ce non choix a été pour moi un déclic, il n’était pas capable de trancher.
Après cet échec des élections européennes, il perd la direction du parti, reprise par Henri Emmanuelli et s’ensuit le congrès de Liévin en novembre 1994. Henri Emmanuelli conduit une motion unique. Il y a une discussion collective entre les responsables jeunes. Je choisis finalement de faire une motion avec une partie des jeunes rocardiens et des jospinistes, dont Adeline Hazan et Vincent Peillon. Nous étions épris d’une liberté absolue et ne souhaitions pas passer sous la coupe d’Henri Emmanuelli. Michel Rocard n’a pas approuvé notre motion car il trouvait que cela minorait le courant rocardien.
Au conseil national, Henri Emmanuelli voulait nous empêcher de déposer le texte. Mais Lionel Jospin nous a défendu et le texte a été enregistré. Beaucoup de rocardiens et de jospinistes ont soutenu cette motion 2. Benoit Hamon refuse quant à lui de la rallier au nom de la défense de l’autonomie du MJS. Il fait le pari de développer le PS avec Henri Emmanuelli. C’était la fin d’une histoire, celle des club Forum qui se dissolvent d’un commun accord quelques mois après.
Benoit Hamon avait une vision mouvementiste, dynamique du MJS. Cela l’a rapidement amené à épouser un positionnement plus à gauche. Alors que nous restions des rocardiens intégraux. Quand Lionel Jospin revient en 1995 à la tête du PS, c’est Vincent Peillon qui a repris l’ascendant du fait de ses liens forts avec Jospin. Nous trouvions, pour notre part, que le Premier secrétaire ne s’engageait pas assez dans la rénovation du parti.
Le cœur de cela, c’est l’apprentissage de l’autonomie et de la responsabilité politique. Rocard n’a jamais limité l’autonomie des jeunes rocardiens. Ils avaient des moyens très importants pour éditer, organiser une université d’été. Nous avons aussi pu accéder à des postes d’assistants parlementaires. Nous avons ainsi gravi les échelons très jeunes, je n’avais que 21 ans quand je prends la direction de Forum. Dans aucun autre courant, les jeunes n’ont eu autant de place.
En outre, les liens d’amitié et de coopération sont restés très forts entre nous, les anciens jeunes rocardiens. En 1997, quand la gauche revient au pouvoir, je suis chef de cabinet de Louis Le Pensec à l’Agriculture, Frédéric Martel est conseiller de Martine Aubry, Christophe Castaner est chef de cabinet de Catherine Trautmann. Nous nous voyons souvent et continuions à nous entraider. Cela joue beaucoup pour survivre au niveau national.
Christophe CLERGEAU,
député européen